Les Églises
Chrétiennes de Dieu
[B3]
Clément d’Alexandrie :
Les Stromates - Livre 3 [B3]
(Édition -)
Le Livre 3 des Stromates de Clément d’Alexandrie n’a pas été traduit mais laissé en latin dans l’ouvrage Ante Nicene Fathers quand cela a été publié. Dans l’intérêt du public, cette traduction par M. de Genoude publiée dans Les Pères de l’Église, Volume 1, Tome 5 (1839) est reproduite.
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Clément d’Alexandrie : Les Stromates – Livre 3 [B3]
LIVRE
TROISIÈME
-
CHAPITRE PREMIER
L'auteur réfute l'opinion des Basilidiens
sur la continence et sur le mariage.
Les Valentiniens qui font
descendre originairement des divins embrassements les alliances conjugales,
approuvent le mariage. Quant aux Basilidiens, ils disent que les apôtres
ayant interrogé le Seigneur pour savoir s'il ne valait pas mieux se marier,
le Seigneur leur répondit : « Tous n'entendent pas cette parole ; car il y a
des eunuques de naissance et des eunuques de nécessité. » Or, les
Basilidiens interprètent ainsi cette réponse : Il est des hommes qui, de
naissance, ont pour la femme une aversion naturelle. Ceux-là font bien
d'obéir à leur tempérament, et de ne point se marier. Ils sont eunuques de
naissance. Les eunuques de nécessité sont tous ces hommes qui s'exercent sur
les théâtres, et que le soin de leur gloire oblige à garder la continence.
Ceux qu'un accident quelconque a mutilés sont eunuques par nécessité. Ceux
donc qui deviennent eunuques par nécessité, ne le deviennent point
conformément à la sagesse divine, mais bien ceux qui se font eux-mêmes
eunuques pour le royaume éternel. Ils prennent, disent-ils, ce parti pour
éviter les soucis ordinaires du mariage, et dans la crainte des soins
attachés à l'entretien d'une famille. Et ce qu'a dit saint Paul : « Il vaut
mieux se marier que de brûler ? » L'apôtre, répondent-ils, a voulu dire : Si
vous ne vous mariiez pas, vous risqueriez de jeter votre âme dans le feu en
résistant nuit et jour et en craignant de perdre la continence ; car une âme
qui est tout occupée à résister, se sépare de l'espérance. « Prenez donc,
dit en propres termes Isidore dans ses Morales, une femme d'une forte
constitution, de peur que vous ne vous sépariez de la grâce de Dieu ; puis,
après avoir éteint votre feu en satisfaisant à votre passion, vous pourrez
prier avec plus de liberté. Et lorsque votre action de grâces, poursuit-il,
se sera transformée en demande, et que désormais vous aurez résolu, non pas
de bien faire, mais de ne pas succomber, mariez-vous. Mais voici un jeune
homme, il est pauvre et porté aux plaisirs de la chair, et conformément à la
sagesse, il ne veut pas se marier. Qu'il prenne bien garde de ne pas se
séparer d'un frère ; qu'il dise : je suis entré dans la voie sainte ; rien
de mal ne saurait m'arriver. A-t-il quelque crainte ? qu'il dise : frère,
impose-moi la main, afin que je ne pèche point ; et il recevra du secours et
dans son âme et dans son corps. Qu'il veuille seulement accomplir ce qui est
bien et il y réussira. Mais souvent nous disons de bouche : je ne veux pas
pécher, et notre cœur persévère dans les liens du péché. C'est la crainte et
l'appréhension d'un supplice qui empêchent un homme animé de ces sentiments
d'exécuter ce qu'il projette. La nature humaine a des besoins nécessaires et
des besoins seulement naturels. Les vêtements sont à la fois nécessaires et
naturels. Les plaisirs charnels sont naturels, mais non pas nécessaires. »
J'ai cité ces paroles pour rappeler au devoir ceux des Basilidiens qui se
conduisent mal, et qui se font de la perfection un prétexte pour commettre
le péché ; ou qui tout au moins se flattent d'être infailliblement sauvés,
quand même ils pécheraient ici-bas, parce qu'ils ont été élus, disent-ils,
dès le sein de leur mère. Ils verront par là que tel n'était pas le
sentiment des premiers auteurs de leur doctrine. De grâce donc, qu'ils ne
fassent plus blasphémer le nom du Christ en se donnant pour Chrétiens et en
menant une vie plus licencieuse que les plus intempérants des gentils ;
c'est de tels hommes qu'il a été dit : faux apôtres, ouvriers trompeurs,
et le reste jusqu'à ces mots : dont la fin sera selon leurs œuvres.
La continence donc est le mépris
du corps, conformément à la promesse qu'on en a faite à Dieu. Car la
continence a pour objet la fuite, non-seulement des plaisirs de la chair,
mais encore de tous ceux que l'âme, convoite d'une manière illicite, ne
sachant pas se contenter du nécessaire. Ainsi la continence s'exerce sur la
langue, dans les possessions, dans la jouissance, dans les désirs. La
continence ne nous apprend pas seulement à être tempérants ; mais comme elle
est une force et une grâce divine, elle nous donne la tempérance. Voici donc
notre opinion sur la question qui nous occupe : Nous bénissons la continence
et ceux auxquels Dieu l'a accordée. Nous vénérons l'unité de mariage, et
tout ce qu'il y a de beau et d'honnête à ne s'être marié qu'une fois ; mais
aussi nous disons qu'il faut être compatissant, et porter les fardeaux
les uns des autres, de peur que celui qui croit être debout et ferme ne
tombe aussi lui-même. Quant au mariage en secondes noces : « Si tu
brûles, dit l'apôtre, marie-toi. »
CHAPITRE II.
Il réfute aussi la doctrine de Carpocrate
et d'Épiphane sur la communauté des femmes.
Ceux qui professent les opinions de Carpocrate et
d'Épiphane, prêchent la communauté des femmes ; de là, le plus horrible
blasphème qu'ait jamais essuyé le nom du Christ. Cet Épiphane, dont les
écrits sont encore dans beaucoup de mains, était le fils de Carpocrate et
d'une femme nommée Alexandria. Originaire d'Alexandrie, par son père, et de
Céphallénie par sa mère, il ne vécut que dix-sept ans, et fut honoré comme
un dieu à Samé de Céphallénie. Là, on lui érigea un temple de pierres
gigantesques, on lui consacra des autels, des bois, un musée ; et à chaque
nouvelle lune, les Céphalléniens se rendent au temple, offrent des
sacrifices à Épiphane pour honorer le jour de son apothéose, font des
libations, célèbrent des festins et chantent des hymnes en son honneur. Son
père lui fit parcourir le cercle entier des sciences, et l'instruisit dans
la philosophie de Platon. C'est lui qui inventa la doctrine des monades ;
c'est à lui que remonte l'hérésie des Carpocratiens. Il dit donc dans son
livre De la justice : « La justice de Dieu est une certaine communauté ayant
pour base l'égalité. Le ciel ne se déroule-t-il pas également de toutes
parts, et n'enveloppe-t-il pas la terre entière dans une même circonférence
? La nuit ne fait-elle pas également briller toutes les étoiles ; et d'en
haut, Dieu ne verse-t-il pas également les rayons du soleil, source du jour
et père de la lumière, sur tous ceux qui peuvent voir ? et l'aspect de cet
astre ne leur est-il pas commun à tous ? C'est que Dieu ne distingue pas le
riche du pauvre ni du puissant, le fou du sage, la femme de l'homme, le
maître de l'esclave. Il n'agit pas autrement, même envers les brutes ; mais
en versant du haut du ciel sur tous les animaux, bons et mauvais, une égale
portion de lumière, il affermit le règne de la justice, personne ne pouvant
avoir plus qu'un antre, ni enlever à son prochain sa part de lumière, et
doubler par ce surcroît la sienne propre. Le soleil fait naître des aliments
communs pour tous les animaux. Une justice commune veille également aux
intérêts de chacun, et à cet égard les bœufs sont comme les génisses, les
porcs comme leurs femelles, les brebis comme les béliers, et ainsi des
autres animaux. C'est à cette communauté de biens que se manifeste en eux la
répartition de la justice. C'est encore en commun que l'on sème toutes les
graines, chacune selon son espèce. Une nourriture égale et commune germe à
la surface de la terre pour tous les animaux qui paissent sans aucune
distinction ; mais par les soins du donateur qui lèvent ainsi, elle est
également et justement répartie entre tous. À l'égard de la génération, ils
n'ont aucune loi écrite ; eût-elle existé, elle serait anéantie ; car ils
sèment et engendrent également avec la première venue, grâce à la communauté
que la nature, fille de la justice, a établie parmi eux ; communauté à
laquelle ils participent tous également. Le créateur et le père de toutes
choses leur a également donné à tous, par une loi de sa justice, un œil pour
voir, sans distinguer le mâle de la femelle ; ni l'homme de la brute, en un
mot, sans établir aucune différence ; en leur partageant également et en
commun le don de la vue, il les en a tous gratifiés à la fois et par une
seule et même loi. Mais les lois, n'ayant pu corriger l'ignorance des
hommes, leur ont appris à enfreindre les lois. Car les lois particulières
ont dissous et anéanti la communauté consacrée par la loi divine, ajoute
Épiphane, sans comprendre cette parole de l'apôtre : « C'est par la loi que
j'ai connu le péché. » Le mien et le tien, poursuit-il, se sont introduits
furtivement chez les hommes par le canal des lois. Les hommes n'ont plus
joui eu commun, ni de la terre, ni des biens acquis, ni même du mariage,
comme ils avaient le droit d'en jouir. Car Dieu a fait la vigne pour les
besoins de tous ; elle ne refuse ses fruits ni au passereau ni au voleur. Il
en est ainsi du blé et des autres fruits. C'est la violation de la
communauté et de l'égalité qui a suscité le voleur de bestiaux et le voleur
de fruits. Dieu donc, en créant tout pour l'usage de tous, en rapprochant
les deux sexes pour des unions communes, et en unissant de la même sorte
tous les êtres vivants, a proclamé pour souveraine justice la communauté et
l'égalité. Mais ceux qui sont nés ainsi, ont renié celle qui leur donna le
jour, la communauté des hommes et des femmes. Si donc, dit-il, quelqu'un en
épouse une, qu'il la garde ; puisque tous peuvent s'unir à toutes, comme le
prouvent les autres animaux. Ce sont ses paroles formelles ; puis il ajoute
en propres termes : « Pour assurer la perpétuité des races, Dieu a fait
naître dans l'homme un désir plus violent et plus vif que chez la femme. Ce
désir, aucune loi, aucune coutume, rien ne peut l'étouffer ; c'est une loi
de Dieu. » Mais comment nous arrêter davantage à l'examen d'une doctrine
ouvertement subversive de la loi de Moïse et de l'Évangile ? La loi dit : «
Tu ne seras point adultère. » Et l'Évangile : « Quiconque aura regardé une
femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère. » Ces paroles de la loi :
« Tu ne désireras pas, » révèlent que c'est un même Dieu que proclament la
loi, les prophètes et l'Évangile ; car il est écrit : « Tu ne désireras
point la femme de ton prochain. » Or, le prochain du juif n'est pas le juif
; il est son frère et il a reçu le même esprit. Il faut donc entendre par
prochain tout homme d'une autre nation. Comment, en effet, ne serait-il pas
notre prochain, celui qui peut participer au même esprit. Abraham n'est pas
seulement le père des Hébreux, il l'est encore des Gentils. Mais, si la loi
punit de mort la femme adultère et son complice, il est évident que le
commandement ainsi conçu : « Tu ne désireras point la femme de ton prochain,
» concerne les Gentils ; afin que celui qui, selon la loi, se sera abstenu
et de sa sœur et de la femme de son prochain, entende publiquement ces
paroles du Seigneur : « Et moi je dis : Tu ne désireras pas. » L'addition de
ce pronom moi, montre que le commandement est encore plus formel.
Mais ce qui prouve que Carpocrate et Épiphane sont en guerre avec Dieu,
c'est le passage suivant, que l'on trouve dans le célèbre ouvrage ayant pour
titre De la justice. « En conséquence, y est-il dit en propres
termes, il faut regarder comme ridicule cette parole sortie de la bouche du
législateur : Tu ne désireras pas,
jusqu'à cette autre plus
ridicule encore : le bien de ton prochain. En effet, c'est lui qui nous a donné
le désir, comme contenant le principe de la génération, et maintenant il
nous ordonne de le réprimer, lorsqu'il en est autrement chez tous les
animaux. Et ces mots : la femme de ton prochain, par lesquels il
soumet la communauté à la propriété particulière, ne sont-ils pas encore
plus ridicules ? » Voilà donc les admirables dogmes des Carpocratiens ! On
dit que ces malheureux et plusieurs autres partisans des mêmes perversités,
après s'être réunis hommes et femmes pour un repas, (car je n'appellerai pas
agape leur assemblée), après s'être gorgés de mets qui excitent aux plaisirs
de la chair, et avoir renversé les flambeaux dont leur justice, je me
trompe, dont leur prostitution, ne peut supporter la lumière, s'accouplent
pêle-mêle comme ils veulent et avec qui ils veulent. On dit aussi qu'après
avoir essayé, dans cette agape, de la communauté, ils ne manquent pas, les
jours suivants, de sommer les femmes qu'ils convoitent d'obéir à la loi, je
ne dis pas du divin Carpocrate, Dieu m'en préserve, mais de Carpocrate.
Carpocrate aurait dû, selon moi, offrir de pareilles lois à la lubricité des
chiens, des porcs et des boucs. Au reste, il me semble avoir mal compris
Platon quand il dit dans sa République : « Toutes les femmes doivent
être communes. » Communes en ce sens, qu'avant d'être mariées, elles
pourront être demandées en mariage par quiconque le désirera. C'est ainsi
que le théâtre est commun à tous les spectateurs. Mais, du reste, il voulait
qu'une fois mariées, elles appartinssent à leur premier époux et ne fussent
plus communes. Xanthus, dans son ouvrage intitulé Des mages, rapporte
que les mages partagent la couche de leurs mères et de leurs filles ; qu'il
leur est permis de s'approcher de leurs sœurs, et que les femmes sont
communes entre eux, non par force ni par ruse, mais par un mutuel
consentement, lorsque l'un veut épouser la femme de l'autre. Jude me semble,
dans son épitre, avoir dit prophétiquement de ces hérétiques et de ceux qui
tombent dans les mêmes erreurs : « Ceux-là aussi rêvent ; car s'ils étaient
éveillés, ils n'oseraient jamais combattre ainsi la vérité ; » et le reste,
jusqu'à ces mots : « Et leur bouche profère des paroles qui respirent
l'orgueil. »
CHAPITRE III.
Platon et
quelques anciens philosophes ont devancé les Marcionites et d'autres
hérétiques qui s'abstiennent du mariage parce qu'ils pensent que la créature
est mauvaise et que les hommes naissent pour la douleur.
Platon, il est vrai, (et les Pythagoriciens, et plus
tard encore les Marcionites, ont été du même sentiment) ; Platon, dis-je, a
pensé que la génération était chose mauvaise ; mais il était loin de
supposer que les femmes dussent être communes. Les Marcionites sont allés
plus loin. Ils disent que la nature est mauvaise, et d'une mauvaise matière,
quoique sortie des mains d'un Créateur juste. C'est pourquoi ils refusent de
peupler le monde, œuvre du Créateur, et veulent que l'on s'abstienne du
mariage, faisant profession ouverte de résister à leur Créateur et de tendre
vers l'être bon qui les a appelés, et non vers celui qui est Dieu,
disent-ils, d'une autre manière. Et par suite de cette résistance, pour ne rien
omettre sur ce point de tout ce qui est en leur pouvoir, ils embrassent la
continence, non par estime pour elle, mais par haine pour le Créateur, et
pour ne point user de ce qui a été créé par lui. Toutefois, ces mêmes
hommes, auxquels leur guerre impie contre Dieu a fait perdre tous les
sentiments naturels, ces mêmes hommes qui méprisent la patience et la bouté
de Dieu, quoiqu'ils refusent de se marier, usent cependant des aliments
créés et respirent l'air du Créateur ; eux-mêmes ils sont l'ouvrage de ses
mains et demeurent parmi ses œuvres. Ils annoncent, disent-ils, une doctrine
nouvelle : soit, mais au moins qu'ils remercient donc le Seigneur d'avoir
créé le monde, puisque c'est dans le monde du Créateur qu'ils ont reçu le
nouvel Évangile. Nous les réfuterons pleinement lorsque nous arriverons à la
question des principes.
Quant aux philosophes dont nous avons fait mention, et
dans la doctrine desquels les Marcionites ont puisé le dogme impie, que la
génération est criminelle, mais dont ils se glorifient néanmoins comme s'il
émanait d'eux, ils ne veulent pas que la génération soit criminelle de sa
nature, mais qu'elle ait été rendue telle par l'âme qui a trahi la vérité.
Car notre âme, à laquelle ils reconnaissent une essence divine, ils la font
descendre ici-bas comme dans un lieu de supplice ; et selon eux, les âmes
sont unies à des corps afin de se purifier. Ainsi ce dogme est celui, non
plus des Marcionites, mais de ceux qui pensent que les âmes sont envoyées
dans les corps, qu'elles y sont enchaînées, et qu'elles sont, pour ainsi
dire, transvasées d'un corps dans un autre. Nous les réfuterons plus
tard, lorsque nous traiterons de l'âme. Héraclite donc parait maudire la
génération dans le passage suivant : « Ceux qui sont nés veulent vivre et
engendrer pour la mort, ou plutôt ils veulent se livrer au repos du sommeil,
et ils laissent des enfants qui mourront après eux. » Il est évident
qu'Empédocle est du même avis :
« J'ai pleuré, s'écrie-t-il, et je me suis lamenté en
voyant pour la première fois un monde auquel je n'étais point « accoutumé. »
Il dit encore :
« L'être, la nature nous fait passer par la mort en
changeant notre forme. »
Et ailleurs :
« Grands dieux ! qu'elle est malheureuse la race des
mortels ! Oh ? qu'elle est misérable ! À quelles discordes et à quels
gémissements, pauvres humains, êtes-vous réservés ! »
La sibylle dit aussi :
« Hommes sujets à la mort, hommes de chair et qui
n'êtes rien. »
C'est aussi l'opinion du poète qui écrit :
« La terre ne nourrit rien de plus misérable que
l'homme. »
Théognis également montre que la génération est un mal,
lorsqu'il dit :
« De tous les biens, le plus grand pour les mortels est
de ne pas naitre et de ne pas voir l'éclatante lumière du soleil ; pour
celui qui est né, c'est de franchir au plutôt les portes de la mort, et de
se reposer dans la tombe sous un monceau de terre. »
Le poète tragique, Euripide, parle dans le même sens :
« Il fallait nous réunir et pleurer sur l'enfant qui
naissait, en le voyant entrer dans cette carrière de maux ; aujourd'hui
qu'il est mort, et se repose enfin de ses labeurs pénibles, il faut nous
réjouir et le porter au bûcher au milieu de joyeuses félicitations. »
Il exprime ailleurs la même pensée :
« Vivre est-ce mourir ? Mourir est-ce vivre ? Qui le
sait ?»
Hérodote semble mettre dans la bouche de Solon des
paroles semblables : « Ô Crésus, tout homme n'est que misère.» La fable de
Cléobis et de Biton n'est évidemment écrite que dans le but de condamner la
naissance et de louer la mort.
« Telle la naissance des feuilles, telle aussi celle
des hommes, dit Homère.»
Dans le Cratyle, Platon attribue à Orphée le
dogme que l'âme subit dans le corps un châtiment. Voici les paroles de
Platon : « Il en est qui veulent que le corps (en grec Sôma) soit le
tombeau (Sèma) de l'âme, parce qu'elle est ensevelie dans la vie
présente. Comme sa signification se confond avec celle du mot âme,
c'est avec raison qu'on l'a nommé Sèma. Orphée, ce me semble, a donné
ce nom au corps surtout, parce que l'âme y subit le châtiment de fautes
antérieures. » Il est bon de rappeler ici les paroles de Philolaüs ; ce
pythagoricien nous dit : « Les théologiens et les devins antiques attestent
que l'âme a été jointe au corps pour expier un crime, et qu'elle a été
ensevelie dans le corps comme dans un tombeau.» Pindare lui-même, parlant
des mystères d'Eleusis, en tire cette conclusion : « Quiconque les a vus,
descend heureux dans les profondeurs de la terre ; il connaît la fin de la
vie ; il connaît l'empire donné par Jupiter.» Platon, aussi, dans le
Phédon, ne craint pas d'écrire ces paroles : « Or, ceux qui ont établi
les mystères parmi nous, n'ont rien fait autre chose, etc., etc...» jusqu'à
ces mots : « Il habitera avec les dieux.» Et ces autres paroles du même
Platon : « Tant que nous avons un corps et que notre âme se trouve mêlée à
un pareil mal, jamais nous ne possédons entièrement ce « que nous désirons.
» N'est-ce pas insinuer que la génération est la cause des plus grands maux
? Platon atteste encore la même chose dans le Phédon : « Il peut
advenir qu'à l'égard de ceux qui s'appliquent vraiment à la philosophie, le
vulgaire ignore que tous leurs efforts ne tendent qu'à sortir de la vie et
qu'à mourir tous les jours. »
Platon ajoute : « C'est pourquoi l'âme du philosophe a
le plus profond dédain pour le corps, et le fuit de toutes ses forces,
aspirant à exister seule et libre de ses liens. » Platon ne se
rencontre-t-il pas ici avec le divin apôtre : « Malheureux homme que je suis
! qui me délivrera de ce corps de mort ? » à moins que l'apôtre n'ait parlé
en figure et n'ait entendu par ce corps de mort, l'ensemble de ceux
qui se laissent entraîner dans le vice. Platon paraît avoir eu aussi, avant
Marcion, de l'éloignement pour les rapports charnels, principe de la
génération ; car, dans le premier livre de sa république, après avoir fait
l'éloge de la vieillesse, il ajoute : « Sache-le bien, plus les voluptés du
corps s'amortissent en moi, et plus aussi je sens se réveiller au fond de
mon âme le goût pour les sciences, et plus je sens s'accroître le plaisir
qu'elles procurent.» Et comme on avait amené la question sur l'usage des
plaisirs charnels : « Félicite-moi, dit-il, j'en ai secoué le joug avec
plaisir, comme si j'avais échappé à la tyrannie d'un maître furieux et
brutal.» Et condamnant de nouveau, dans le Phédon, la génération, il
ajoute : « La raison qu'on en donne en secret, est que nous autres hommes
nous sommes dans une espèce de prison.» Et encore : « Ceux-là paraissent
exceller sur tous les autres par la sainteté de leur vie, qui, délivrés et
affranchis des liens par lesquels ils étaient retenus sur la terre, comme
dans une geôle, s'en vont là-haut dans la demeure pure et sans tache.» Telle
était, sans doute, l'opinion de Platon ; il comprenait, toutefois, que
l'univers est sagement gouverné, et il disait : « Il ne faut pas se délivrer
soi-même de la vie, ni s'enfuir comme un esclave ;» et pour le dire en un
mot, il n'a pas donné sujet à Marcion de regarder la matière comme mauvaise,
puisqu'il a écrit lui-même ces religieuses paroles sur le monde : « Tous les
biens que le monde renferme, il les tient de Dieu qui l'a créé; mais tout ce
qu'il y a de mal et d'inique sous le soleil, le monde le tient de l'état
antérieur à la création, et le communique aux êtres animés.» Puis il ajoute
ces paroles encore plus positives : « La cause de ces maux pour le monde est
l'élément matériel qui est entré dans la composition des corps, élément qui
faisait partie de la nature primitive ; car, ainsi qu'elle, il était informe
et désordonné, avant d'être organisé comme il l'est maintenant.» Et dans
les Lois il ne gémit pas moins sur le genre humain : « Les
dieux, dit-il, ayant pris pitié de la race humaine, condamnée par la nature
au travail, lui assignèrent pour se reposer, le retour périodique des jours
de fête.» Et dans l'Epinomide, exposant en quoi les hommes sont à
plaindre, il s'exprime ainsi : « Dès le principe, arriver à la vie est
pénible pour tout être animé ; il faut d'abord qu'il passe par l'état de
fœtus ; puis qu'il naisse ; puis qu'il soit allaité ; puis qu'on l'élève ;
toutes choses qui ne se font qu'au prix de mille fatigues, comme nous le
savons tous.» Mais quoi ! Héraclite, aussi, ne dit-il pas que naitre c'est
mourir ? il est d'accord en cela avec Pythagore et avec Socrate dans le
Gorgias. Voici ce qu'il dit : « La « mort est tout ce que nous voyons
lorsque nous sommes éveillés, le songe tout ce que nous voyons en dormant.»
Mais assez sur ce point. Lorsque nous traiterons des principes, nous
examinerons ces contradictions auxquelles fout allusion les philosophes et
dont les Marcionites ont formé une doctrine particulière. Du reste, je crois
avoir prouvé assez clairement que Marcion, en empruntant à Platon ces dogmes
étranges, a fait preuve de maladresse et d'ignorance.
Arrivons maintenant à la continence. Nous avancions que
les Grecs, envisageant tous les inconvénients qu'entraine avec soi la
génération des enfants, avaient beaucoup déclamé contre elle, et que les
Marcionites entendant leurs paroles dans un sens impie, se montraient
ingrats envers le Créateur. Que dit en effet le poète tragique ?
« Il vaut mieux pour les mortels ne pas naitre que de
naitre.» Et puis : « J'enfante avec de cruelles douleurs ; ai-je enfanté ?
si j'ai donné le jour à quelques enfants idiots, je m'afflige, mais en vain,
de ce que je conserve les mauvais et perds les bons. Conservé-je ces
derniers ? mon malheureux cœur sèche de crainte. Est-ce là le bonheur ? Ne
suffit-il pas d'une vie à perdre, sans avoir encore mille autres tourments
? »
Il ajoute :
« Il m'a toujours semblé, comme il me semble encore,
que les hommes ne devraient jamais engendrer d'enfants, lorsqu'ils voient
pour combien de maux nous les engendrons. »
Et dans les vers qui suivent, le poète fait remonter
clairement la cause de nos maux jusqu'à ses premiers principes :
« Ô homme, s'écrie-t-il, tu es né pour la souffrance et
pour le malheur ! et cette fatalité de la vie, tu l'as reçue à l'instant
même où l'air a commencé de nourrir tous les mortels en leur donnant le
souffle qui les anime. Mortel, n'oublie donc pas que tu es sujet à la mort.»
C'est encore dans le même sens qu'il dit :
« Pas un mortel qui connaisse le bonheur et la félicite
; pas un qui ait vécu sans tribulations ! »
Et ailleurs :
« Hélas ! hélas ! combien lourds et nombreux sont les
maux des mortels ! combien ils sont variés ! où est la limite qui leur est
assignée ?»
Et pareillement :
« Parmi les mortels, pas un qui soit heureux jusqu'à la
fin. »
C'est pour cela, dit-on, que les Pythagoriciens
s'abstiennent des plaisirs de la chair ; pour moi, il me semble au contraire
qu'ils se marient pour avoir des enfants ; seulement lorsqu'ils en ont, ils
veulent maitriser leur penchant aux plaisirs sensuels. C'est par la même
raison qu'ils défendent mystérieusement l'usage des fèves, non que ce légume
soit venteux ou indigeste, ou qu'il engendre des songes tumultueux, ni que
la forme en soit pareille à la tête de l'homme, comme le veut ce vers :
« Manger des fèves ou manger la tête de son père, est
une même chose ; »
Mais bien plutôt parce que les fèves rendent stériles
les femmes qui s'en nourrissent. En effet, Théophraste, dans le cinquième
livre de son ouvrage des Causes naturelles, rapporte que des cosses
de fèves jetées autour des racines de jeunes arbres, les dessèchent ; et que
parmi les oiseaux domestiques, ceux que l'on nourrit continuellement de
fèves, deviennent stériles.
CHAPITRE IV.
Les
hérétiques prennent occasion des maximes qu'ils inventent pour se livrer à
des désordres de toute nature.
Parmi ceux que l'hérésie entraîne, nous avons nommé
l'habitant du Pont, Marcion, qui, par suite de la guerre qu'il a déclarée au
Créateur, se refuse à user des choses de ce monde. Mais le motif de sa
continence, si toutefois on peut l'appeler de ce nom, c'est sa haine, sa
révolte envers le Créateur lui-même. Dans le combat que le géant impie
s'imagine livrer à Dieu, il se condamne à une continence involontaire, en
insultant à la création et à l'œuvre divine. Voudrait-il s'étayer des
paroles du Seigneur, quand il dit à Philippe : « Laissez les morts ensevelir
leurs morts ; vous, suivez-moi. » Mais, qu'il le sache bien ! Philippe, tout
revêtu qu'il était d'une semblable chair, n'était point un cadavre eu
corruption. Comment donc, avec une enveloppe charnelle, ne portait-il pas un
cadavre ? C'est qu'il s'était relevé du sépulcre par la mort du vice, et
qu'il vivait en Jésus-Christ. Nous avons aussi rappelé la doctrine
criminelle de Carpocrate sur la communauté des femmes ; mais, à l'occasion
d'une parole de Nicolas, nous avons omis le fait suivant. Il avait, dit-on,
une femme dans la fleur de l'âge et de la beauté ; après l'ascension du
Sauveur, comme les apôtres lui faisaient honte de sa jalousie, il amena sa
femme au milieu d'eux, et permit à qui voudrait de l'épouser. En effet,
ajoute-t-on, cette liberté est d'accord avec l'aphorisme de Nicolas : « Il
faut abuser de la chair. » Ses disciples, adoptant à la lettre et sans
examen l'exemple non moins que la parole du maitre, se livrent publiquement
à une fornication effrontée. Mais, pour moi, je sais que Nicolas ne connut
d'autre femme que celle qu'il avait épousée ; que ses filles ont vieilli
dans !a virginité, et que son fils est demeuré dans le célibat. La chose
étant ainsi, Nicolas, en amenant au milieu des apôtres la femme dont on
l'accusait d'être jaloux, voulait se justifier de l'inculpation, et par sa
continence dans des plaisirs recherchés d'ordinaire avec empressement, il
enseignait à abuser de la chair, c'est-à-dire à mortifier les sens.
Car ils ne voulaient pas, j'imagine, servir l'un et l'autre deux maîtres,
selon le langage du précepte, Dieu et la volupté. C'est pourquoi l'on assure
que Mathias enseignait aussi, qu'il faut combattre les sens et abuser de la
chair, en lui refusant tout ce qui peut servir d'aliment à la volupté ;
mais, augmenter les forces de l'âme par la foi et par la connaissance. Il en
est d'autres qui appellent une honteuse promiscuité du nom de communion
mystique, profanant ainsi ce mot sacré. De même que nous employons le mot
œuvre pour désigner une action,
qu'elle soit bonne ou mauvaise, en la qualifiant par un nom générique ;
ainsi en est-il de ce mot communion.
La communion légitime consiste à se partager mutuellement l'argent, la
nourriture et les vêtements ; mais eux, ce n'est que par une dénomination
impie qu'ils ont pu appeler communion tout accouplement charnel. L'un d'eux
s'étant approché, comme on le rapporte, de l'une de nos vierges, qui était
dans tout l'éclat de la beauté, lui dit : Il est écrit : « Donnez à qui vous
demande. » Celle-ci, sans rien comprendre aux intentions lubriques de cet
homme, lui répondit avec le langage de l'innocence : « Consultez ma mère sur
ce mariage. » Ô impiété ! ils vont jusqu'à dénaturer les paroles du
Seigneur, ces associés de débauche, ces frères de lubricité, opprobre de la
philosophie, ou pour mieux dire, du genre humain tout entier ; ces
corrupteurs, ou plutôt, ces destructeurs de la vérité, autant du moins
qu'ils peuvent la détruire ; hommes trois fois misérables, qui consacrent et
enseignent la libre communion de la chair, et pensent s'élever par elle au
royaume de Dieu. Mais non ; cette communion les pousse aux lieux de débauche
; leurs dignes communiants, ce seraient les boucs et les pourceaux ; et les
courtisanes, toujours prêtes au fond de leur repaire à admettre impudemment
les solliciteurs de la débauche, seraient, aux yeux de ces hérétiques, dans
la meilleure voie du salut. « Pour vous, ce n'est pas là ce que vous avez
appris de Jésus-Christ, si toutefois vous êtes ses disciples, et si vous
avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller le vieil
homme, selon lequel vous avez vécu autrefois, et qui se corrompt en suivant
l'illusion de ses passions. Renouvelez-vous donc dans l'intérieur de votre
âme, et vous revêtez de l'homme nouveau, qui est créé à la ressemblance de
Dieu, dans la justice et la sainteté véritables. Soyez donc les imitateurs
de Dieu, comme ses enfants bien-aimés, et aimez-vous les uns les autres,
comme Jésus-Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous, en
s'offrant à Dieu comme une victime d'agréable odeur. Qu'on n'entende pas
même parler parmi vous de fornication, ni de quelque impureté que ce soit,
ni d'avarice, ainsi qu'il convient à des saints. Qu'on n'y entende ni parole
déshonnête, ni folle gaité. » En effet, l'apôtre nous enseignant à pratiquer
la chasteté jusque dans nos paroles, écrit : « Car, sachez que nul
fornicateur, etc. etc. » jusqu'à ces mots : « mais plutôt, condamnez-les. »
La doctrine des hérétiques dont nous parlons prend sa
source dans un livre apocryphe ; je citerai même le fragment par lequel ils
autorisent leur libertinage. S'ils sont eux-mêmes les auteurs de ce livre,
quel délire d'incontinence que d'appeler insolemment Dieu au secours de leur
lubricité ! S'ils tiennent ce livre d'un étranger, ils se sont incorporé le
poison de cette belle maxime, après en avoir altéré le sens. Voici le
passage en question : « Un était toutes choses ; mais après que l'Un
universel eut trouvé bon de n'être plus seul, une vertu sortit de lui, il
s'unit avec elle ; leur union engendra le bien-aimé. Ensuite, il sortit de
lui une nouvelle vertu, avec laquelle il s'unit encore et d'où naquirent les
puissances qui ne peuvent être ni vues ni entendues ; etc. etc. jusqu'à ces
mots : « Chacune avec son nom distinct. » Si ces hérétiques, comme les
Valentiniens, eussent posé en principe la communion de l'esprit, peut-être
eussent-ils rencontré quelques partisans. Mais, élever au rang d'une sainte
doctrine la communion des plaisirs charnels, c'est le propre d'un homme qui
méconnait le salut.
Telles sont aussi les doctrines des disciples de
Prodicus, qui se donnent, sans aucun droit, le nom de gnostiques. Fils du
premier Dieu par droit de nature, comme ils le prétendent, ils abusent de
cette noble origine et de leur prétendue liberté, pour vivre à leur
fantaisie. Or, leur fantaisie les porte surtout vers les plaisirs des sens ;
ils se proclament affranchis de tout lien, comme
maîtres du sabbat, et supérieurs à
tout autre par l'excellence de leur race et leur qualité de fils de roi. La
loi, disent-ils, n'atteint pas le roi. Mensonges ! D'abord, ils ne font pas
tout ce qu'ils veulent ; car, de nombreux obstacles les arrêteraient, malgré
leurs désirs et leurs efforts ; et ce qu'ils font, ils ne le font pas comme
des rois, mais comme des criminels qui portent encore l'empreinte de la
flagellation. C'est furtivement qu'ils commettent leurs adultères, craignant
toujours d'être surpris, évitant d'être condamnés, et redoutant le supplice.
Singuliers actes de liberté que l'incontinence et l'obscénité du langage ! «
Tout homme qui pèche est esclave, » dit l'apôtre. Et comment se
gouvernerait-il selon Dieu, celui qui s'asservit à toute concupiscence ?
Écoutez le Seigneur : « Et moi je vous dis : Ne convoitez pas. » Or, quel
est le misérable qui voudra pécher de propos délibéré ? Qui prêchera la
doctrine de l'adultère ? Qui autorisera les dissolutions et la profanation
de la couche nuptiale ? N'avons-nous pas pitié de ceux même qui pèchent
involontairement ? Supposez les hérétiques transportés dans un monde qui
n'est pas le leur ; comme ils ont été infidèles dans le monde d'un Dieu
étranger, ils ne trouveraient aucune créance. Un hôte insulte-t-il aux
habitants d'une ville où il a été accueilli ? cherche-t-il à leur nuire ? ou
plutôt ne vit-il pas comme un honnête voyageur, usant de ce qui lui est
nécessaire, sans offenser aucun de ceux qui lui ont donné l'hospitalité ?
Et comment, lorsque dans leur révolte contre les lois,
ils se conduisent aussi honteusement que ceux qui sont abominables aux yeux
des païens eux-mêmes, c'est-à-dire lorsqu'ils sont livrés à l'adultère, à
l'iniquité, à l'incontinence, à la fraude, osent-ils proclamer que, seuls,
ils connaissent Dieu ? Placés qu'ils sont dans un monde qui ne leur
appartient pas, leur meilleur moyen de prouver qu'ils ont une vertu vraiment
royale, ce serait la régularité des mœurs ; loin de là, ils sont abhorrés
par les lois humaines et par la loi divine pour avoir embrassé un régime de
vie contraire aux lois. Assurément, l'Israélite qui, dans les Nombres,
immola le fornicateur, fit un acte de justice, comme Dieu l'atteste. « Et si
nous disons, déclare Jean dans son épître, que nous sommes en société avec
lui, c'est-à-dire avec Dieu, et que nous marchions dans les ténèbres, nous
mentons et nous ne suivons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la
lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en société avec
lui, et le sang de Jésus, son fils, nous purifie de tout péché. » Comment
donc sont-ils meilleurs que les hommes du siècle, ceux qui agissent ainsi,
et qui sont semblables aux plus méchants d'entre les hommes ? Car, où les
actes sont semblables, la nature, j'imagine, l'est aussi. Vous êtes d'une
naissance supérieure, dites-vous ? raison de plus d'être supérieurs aux
autres par votre conduite, afin d'éviter que la même prison ne vous
renferme. « En vérité, a dit le Seigneur, si votre justice n'est plus
abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point
dans le royaume de Dieu. »
On trouve dans Daniel des exemples relatifs à
l'abstinence des aliments. Enfin, David, dans ses psaumes, s'exprime ainsi
sur l'obéissance : « Seigneur, comment la jeunesse redressera-t-elle ses
voies ? » Et il entend aussitôt : « En gardant vos paroles de tout son cœur.
» J'ouvre Jérémie : « Voici ce que dit le Seigneur : Ne marchez pas dans les
voies des nations. » De ces paroles, quelques autres hérétiques, hommes de
peu d'intelligence et de nulle valeur, concluent que l'homme est l'œuvre de
différentes puissances. La partie, disent-ils, qui se trouve au-dessous du
nombril est le produit d'un art plus divin ; les parties au-dessous, d'un
art inférieur. De là leur tendance vers la copulation charnelle. Mais ils ne
remarquent pas que les parties supérieures ont aussi des convoitises de
sensualité ou de débauche. En outre, ils contredisent le Christ, qui disait
aux Pharisiens que le même Dieu a fait
le dedans de nous et l'homme extérieur. Que dis-je ? la convoitise ne
vient pas du corps, quoiqu'elle s'accomplisse par le corps.
Selon d'autres hérétiques, appelés antitacles ou
adversaires, le Dieu de l'univers est notre père légitime, et toutes
ses œuvres sont bonnes ; mais l'un des êtres créés par lui, ayant semé
l'ivraie, engendra le mal et nous enlaça tous dans les filets du mal pour
nous rendre les adversaires du Père. Voilà pourquoi nous résistons à ce
rebelle, pour venger le Père, en donnant un démenti au second. « Tu ne seras
point adultère, nous dit ce dernier.» Eh bien ! nous, nous courons à
l'adultère pour annuler son commandement. Notre réponse, la voici : La
tradition nous apprend que les faux prophètes et ceux qui prennent le masque
de la vérité, se font connaitre à leurs œuvres. Or, si vos œuvres vous
condamnent, comment pouvez-vous soutenir encore que vous possédez la vérité
? Car, ou bien le mal n'existe pas, et alors celui que vous accusez d'avoir
résisté à Dieu n'est passible d'aucun blâme, et il n'a fait aucun mal ; mais
le mal détruit, l'arbre du mal l'est également. Ou bien si le mal existe
essentiellement, répondez, que faites-vous des préceptes qui nous
prescrivent la justice, la continence, la tolérance, la patience et les
matières semblables ? Sont-ils bons ? Sont-ils mauvais ? Si le précepte est
mauvais, lui qui défend toutes les choses honteuses, voilà que le vice porte
des lois contre lui-même et travaille à sa propre ruine, chose impossible.
Si le précepte est bon ; en déclarant la guerre à des préceptes qui sont
bons, ces hérétiques confessent donc qu'ils repoussent le bien, et qu'ils
font le mal.
Il y a plus : le Sauveur lui-même, auquel seul, à les
en croire, on doit obéissance, défend la haine et l'injure : « Hâtez-vous,
dit-il, de vous réconcilier avec votre adversaire, pendant que vous êtes en
chemin avec lui.» Ou enfin ils refuseront d'obéir à l'exhortation du Christ,
se faisant ainsi les adversaires de l'adversaire ; ou s'ils l'aiment, ils ne
s'élèveront pas contre lui, Mais quoi ! ne savez-vous pas, hommes de noble
origine (car il me semble qu'ils sont en face de moi), ne savez-vous pas
qu'en repoussant des préceptes qui sont justes, vous repoussez votre propre
salut ? Non, ce n'est pas à la ruine de préceptes utiles, mais à votre
propre ruine que vous travaillez. Que dit le Seigneur ? Que vos bonnes
œuvres brillent. Mais vous, que mettez-vous en lumière, sinon vos
intempérances ? D'ailleurs, acharnés comme vous le dites à détruire les
préceptes du législateur, pourquoi donc vous efforcer de ruiner au profit de
votre intempérance les préceptes qui disent : « Tu ne seras point adultère ;
tu ne commettras pas le crime de Sodome, » et tous ceux qui recommandent la
continence ; tandis que vous ne détruisez pas l'hiver, œuvre du même
législateur, pour placer l'été au milieu de l'hiver ? Que ne rendez-vous la
terre navigable ? Que n'ouvrez-vous la mer au pied de l'homme, comme le
tenta le barbare Xerxès, au rapport des historiens ? Pourquoi ne
repoussez-vous pas tous les commandements ? Car, lorsque Dieu prononce cet
oracle : Croissez et multiplies-vous, vous devriez, vous, ses
adversaires, vous abstenir entièrement de l'œuvre de la chair. Et lorsqu'il
vous dit : « Je vous ai donné toutes choses, pour votre nourriture et pour
votre jouissance ; » vous devriez vous les interdire toutes. Il y a plus,
lorsqu'il vous dit : œil pour œil, vous ne devriez pas rendre coup
pour coup. Et lorsqu'il ordonne que le voleur rende le quadruple de
ce qu'il a pris, ne vous conviendrait-il pas, au contraire, de donner
quelque chose de plus au voleur ? Pareillement encore, puisque vous refusez
d'obéir à ce précepte : Tu aimeras le Seigneur, vous ne devriez pas
même aimer le Dieu de l'univers. Et lorsqu'il nous dit : « Tu ne tailleras
ni ne jetteras en fonte aucune image ;» il vous faudrait, pour être
conséquents, adorer des images. Et comment ne seriez-vous pas des impies,
vous qui vous constituez, pour me servir de vos termes, les adversaires du
Créateur, mais qui ne dédaignez pas d'imiter les prostituées et les
adultères ? Insensés, qui ne comprenez pas que vous relevez la puissance de
ce Dieu dont vous proclamez la faiblesse, puisque sa volonté s'accomplit et
non la volonté du dieu bon que vous donnez pour le vôtre ! Ne
manifestez-vous pas au contraire l'impuissance et le néant de votre père,
comme vous l'appelez ?
Ces hérétiques recueillent encore ça et là, dans
certains passages des prophètes, des lambeaux de maximes qu'ils rattachent
maladroitement à leurs dogmes, et des allégories qu'ils prennent à la lettre
sans chercher le sens du symbole. Il est écrit, disent-ils : Ils ont
résisté à Dieu, et ils ont été sauvés. Mais ils ajoutent au dieu
impudent, et les voilà transformant leur interpolation en conseil qui
leur a été prescrit, avec l'opinion que leur salut est de résister au
Créateur. Mais d'abord, il n'est pas écrit : au dieu impudent. Si le
texte n'est point altéré, comprenez, insensés, par ce mot impudent,
celui que l'on appelle le diable, soit parce qu'il est le calomniateur de
l'homme, soit parce qu'il est l'accusateur du pécheur, soit parce qu'il est
apostat. Mais voici le fait : Le peuple auquel s'applique cette parole,
supportant avec peine et avec larmes la punition de ses péchés, murmurait,
ainsi que le raconte le livre sacré, de ce que les autres nations ne
recevaient pas le châtiment de leurs iniquités, tandis qu'à lui seul on
demandait un compte rigoureux de chacune de ses fautes. De là cette parole
de Jérémie : « Pourquoi les impies prospèrent-ils dans leurs voies ? »
parole semblable à celle que nous avons déjà citée de Malachie : Ils ont
résisté à Dieu, et ils ont été sauvés. Car les prophètes inspirés par
Dieu, non contents de proclamer les vérités qu'ils ont reçues d'en haut par
inspiration, répètent encore par forme de subjection et comme des questions
que les hommes adressent à Dieu, les rumeurs et les plaintes du peuple. Tel
est le mot que nous avons rapporté. L'apôtre ayant en vue ces hérétiques
dans son épitre aux Romains, n'écrit-il pas ? « Et pourquoi ne ferons-nous
pas le mal afin qu'il en arrive du bien, comme quelques-uns nous le font
dire par une insigne calomnie ? Ceux-là seront justement condamnés. » Ce
sont les hommes qui, en lisant, dénaturent, par les inflexions de la voix,
le sens des Écritures pour justifier leurs voluptés personnelles, et qui,
par la transposition de certains accents et de certains signes de
ponctuation, détournent violemment au profit de leur luxure des préceptes
pleins de sagesse et d'utilité : « Vous avez fatigué le Seigneur par vos
discours, s'écrie Malachie, et vous avez demandé : En quoi l'avons-nous
fatigué ? En ce que vous avez dit : Tous ceux qui font le mal sont bons aux
yeux du Seigneur. Voilà ceux qui lui plaisent ; et où est le Dieu de justice
?
CHAPITRE V.
Il
signale deux sortes d'hérétiques : les premiers déclarent que tout leur est
promis. Il les réfute d'abord.
Fouiller plus profondément ce sol infect, ce serait
remuer un trop grand nombre d'extravagances et d'hérésies. D'ailleurs, les
détails qu'elles entraîneraient nécessairement, si nous les parcourions les
unes après les autres, nous condamneraient nous-mêmes à rougir, et
allongeraient démesurément ces commentaires. Pour obvier à ces
inconvénients, voyons à ranger en deux classes toutes les hérésies, afin de
leur répondre ensuite. En effet, ou elles prêchent la licence et
l'affranchissement de toute règle ; ou, dépassant la juste mesure, elles
professent la continence par haine et par impiété. Traitons d'abord de la
première série. S'il est permis de choisir un genre de vie quel qu'il soit,
il est libre de choisir, celui que la continence accompagne. Cela est
évident ; et si tout genre de vie est sans danger pour celui qui en fait
choix, il est évident qu'une vie tempérante et vertueuse est bien plus sûre
encore. Car, si le maître du sabbat a reçu le privilège (menât-il une
vie déréglée), de n'être pas comptable, à plus forte raison, celui qui se
sera bien conduit sera-t-il au-dessus de tout compte. « Car, tout est
permis, mais tout n'est pas expédient, » dit l'apôtre. Or, si tout est
permis, évidemment il est aussi permis d'être tempérant. De même donc que
celui qui a usé de sa liberté pour vivre dans la vertu, est digne d'éloges ;
de même aussi, celui qui nous a donné la libre jouissance de nous-mêmes et
qui nous a permis de vivre à notre gré, est beaucoup plus digne encore de
vénération et d'adoration, pour n'avoir pas voulu que nos choix ou nos
aversions nous fussent fatalement imposées. Mais si la sécurité est égale
pour qui a embrassé l'incontinence comme pour qui a embrassé la continence,
l'honneur n'est pas égal dans l'un et l'autre choix. Car le voluptueux fait
une chose agréable au corps, tandis que l'homme tempérant affranchit des
passions l'âme, maitresse du corps.
Nous avons été appelés à la liberté, s'écrient-ils. Qui le niera ? «
Ayons soin seulement, dit l'apôtre, que cette liberté ne nous soit point une
occasion de vivre selon la chair. »
Mais, si l'on ne doit rien refuser au désir, dans la
pensée qu'une vie d'opprobre est chose indifférente en elle-même, ainsi
qu'ils le répètent, qu'arrive-t-il alors ? Ou il faut écouter aveuglément
nos désirs et nous précipiter dans les derniers excès du crime et de la
dépravation, sur les pas de quiconque nous les conseille ; ou bien nous
reculons devant certains désirs, et alors il ne faut donc pas vivre
indifféremment, ni, lâches flatteurs d'un cadavre, obéir sans pudeur aux
plus viles parties de nous-mêmes, au ventre et à ce que nous ne pouvons
nommer. Car l'aliment des voluptés nourrit et vivifie le désir, de même
qu'il languit et s'éteint faute de pâture. Or, comment adviendra-t-il que,
vaincu par les voluptés du corps, on ressemble au Seigneur, ou que l'on ait
la connaissance de Dieu ? Le principe de toute volupté est le désir : or le
désir est un tourment et une inquiétude qui convoite parce qu'il n'a pas.
C'est pourquoi ceux qui l'adoptent pour principe de conduite, « souffrent
mille maux, sans parler même du déshonneur », comme dit le poète, puisqu'ils
choisissent dans le présent et dans l'avenir un mal qu'ils ont appelé sur
eux-mêmes. Si donc tout était permis, nous n'aurions pas à craindre d'être
retranchés du salut à cause de nos mauvaises actions ; et l'hérésie aurait
peut-être alors un prétexte pour se plonger dans la honte et le désordre.
Mais puisque les préceptes divins nous montrent une vie heureuse à conquérir
par notre attention à ne donner aucune fausse interprétation à la doctrine,
à ne négliger aucun des devoirs, si minime qu'il paraisse, et à marcher où
le Verbe nous conduit, parce que nous détourner de lui c'est tomber
nécessairement dans un mal éternel, tandis que, suivre les divins
enseignements par lesquels marchent tous les hommes de foi, c'est
ressembler, autant qu'il est possible, au Seigneur ; il s'ensuit que la
créature ne peut vivre ici-bas sans règle et sans loi. Loin de là ; elle
devra se tenir, selon ses forces, pure de désirs et de voluptés, et prendre
soin de l'âme par laquelle il lui faut persévérer en Dieu seul. En effet,
l'esprit où règne l'innocence, sanctuaire consacré par l'image de Dieu, est
comme investi de la puissance divine. « Quiconque a cette espérance dans te
Seigneur, dit l'apôtre, se sanctifie comme le Seigneur est saint lui-même. »
Mais, que la connaissance de Dieu vienne à ceux que les passions entrainent
encore, cela est impossible, tout aussi bien que d'arriver à leur fin
dernière, puisqu'ils n'ont pas la connaissance de Dieu. L'ignorance où il
est de Dieu accuse celui qui ne parvient pas à cette fin ; car, d'où
provient l'ignorance de Dieu ? du genre de vie que l'on a embrassé. II ne
peut arriver que le même homme possède la science et ne rougisse pas de
flatter la chair. Comment voulez-vous que cette proposition, la volupté est
un bien, s'accorde avec cette autre : le bien est seulement ce qui est bon
et honnête ; ou avec celle-ci : le Seigneur est le seul beau, le seul Dieu
bon, le seul aimable ? « C'est dans le Christ que vous avez été circoncis,
non d'une circoncision faite par la main des hommes, mais de la circoncision
de Jésus-Christ, par laquelle vous avez été dépouillés de votre corps
charnel. Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui
est dans le ciel, n'ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour
celles de la terre ; car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu
avec Jésus-Christ ; » non cette vie de fornication que mènent les
hérétiques. « Faites donc mourir les membres de l'homme terrestre, la
fornication, l'impureté, les passions déshonnêtes et les mauvais désirs.
Voilà les crimes qui attirent la colère de Dieu. Que ces pécheurs renoncent
donc à la colère, à l'aigreur, à la malice, à la médisance ; que les paroles
déshonnêtes soient bannies de leur bouche. Qu'ils se dépouillent du vieil
homme et de ses mauvais désirs, et qu'ils se revêtent du nouveau, qui, par
la connaissance de la vérité, se renouvelle selon l’image de celui qui l'a
créé. » Car c'est par la conduite qu'éclate la connaissance des préceptes.
Tels discours, telle vie. L'arbre se distingue à ses fruits, non à ses
fleurs, à ses feuilles et à ses branches. La connaissance se manifeste donc
par le fruit et par la conduite, non par les discours et par les fleurs.
Nous ne faisons pas de la connaissance une parole stérile et nue, mais une
science divine ; et cette lumière qui, descendue dans l'âme par l'obéissance
aux préceptes, produit au-dehors les merveilles de cette connaissance, met
l'homme en état de se connaitre lui-même, et lui montre la route à suivre
pour arriver à la possession de Dieu. Ce que l'œil est au corps, la
connaissance l'est à l'âme. Et qu'à l'exemple de ceux qui vantent la douceur
de la bile, on n'appelle pas liberté la servitude de la volupté. Nous
avons appris, nous, que la liberté est celle que le Seigneur seul nous donne
en nous affranchissant des voluptés, des mauvais désirs et des autres
perturbations de l'âme. « Celui qui dit : Je connais le Seigneur, et qui ne
garde pas ses commandements, est un menteur, dit Jean, et la vérité n'est
point en lui. »
CHAPITRE VI.
Il
attaque la seconde classe d'hérétiques, ceux qui, par haine contre le
Créateur, pratiquent la continence.
J'en viens à ceux qui, par une apparente pratique de
continence, impies envers la créature et le saint Créateur, envers le seul
Dieu tout-puissant, enseignent qu'il ne faut point admettre le mariage, ni
la procréation des enfants, ni introduire à sa place dans le monde d'autres
êtres destinés au malheur, ni fournir des aliments à la mort. Je commence
par les paroles de Jean : « Maintenant aussi il y a plusieurs antéchrists ;
ce qui nous fait croire que la dernière heure est proche. Ils sont sortis du
milieu de nous, mais ils n'étaient pas de nous ; car s'ils eussent été de
nous, ils seraient demeurés avec nous. » Puis, confondons-les et renversons
l'échafaudage de leur doctrine. Ainsi, lorsque le Seigneur répond à Salomé
qui lui demandait jusques à quand durerait la puissance de la mort ; « aussi
longtemps, dit-il, que vous autres femmes vous enfanterez, » ce n'est pas
que la vie et la créature soient chose mauvaise. Le Sauveur nous faisant
toucher au doigt une conséquence naturelle, nous enseignait que la mort est
la suite inévitable de la naissance. Que veut la loi ? nous éloigner des
voluptés et de l'opprobre. La fin qu'elle se propose, c'est de nous amener
de l'injustice à la justice, en nous prescrivant de pudiques mariages,
l'honnête procréation des enfants, et une conduite pleine de sagesse. « Car,
le Seigneur n'est pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. » L'accomplir
! non pas qu'il lui manquât quelque chose, mais parce que les prophéties de
la loi ont reçu leur accomplissement par l'avènement de Jésus-Christ. En
effet, c'était le Verbe qui prêchait la pureté et la sagesse à ceux même qui
vécurent dans la justice avant la loi. La plupart des hommes, ne connaissant
donc pas la continence, vivent de la vie du corps et non de la vie de
l'esprit. Mais sans l'esprit, qu'est-ce que le corps ? rien que terre et que
cendre. Il y a plus ; le Seigneur déclare adultère la pensée elle-même. Car
enfin, ne vous est-il pas permis d'user du mariage avec tempérance, sans
chercher à séparer ce que Dieu a joint ?
Voilà ce qu'enseignent ceux qui brisent les liens du
mariage, donnant par là aux gentils l'occasion de blasphémer le nom
Chrétien. Mais, puisque la copulation charnelle est chose infâme, à leur
avis, nés qu'ils sont de la copulation charnelle, comment ne seraient-ils
pas eux-mêmes des infâmes ? Il me semble au contraire, que pour ceux qui ont
été sanctifiés, le germe d'où ils sont sortis est saint. Chez les Chrétiens,
en effet, non-seulement l'esprit, mais les mœurs, la vie et le corps doivent
être sanctifiés. Pour quelle raison l'apôtre Paul dirait-il « que la femme
est sanctifiée par le mari et le mari par la femme ? » Que signifierait
encore la réponse du Seigneur à ceux qui, l'interrogeant sur le divorce, lui
demandaient « est-il permis de renvoyer sa femme, suivant la faculté qu'en
laisse Moïse ?» — « C'est à cause de la dureté de votre cœur, que Moïse a
écrit ces choses ; mais n'avez-vous point lu que Dieu dit au premier homme :
Vous serez deux dans une seule chair ? C'est pourquoi celui qui renvoie sa
femme, si ce n'est pour cause de fornication, la rend adultère. Mais après
la résurrection, ajoute le Seigneur, les hommes n'auront point de femmes, ni
les femmes de maris. » En effet, il a été dit de l'estomac et de la
nourriture : « Les aliments sont pour l'estomac, et l'estomac pour les
aliments ; mais Dieu les détruira l'un et l'autre. » L'apôtre, s'élevant ici
contre ceux qui préconisent la vie du pourceau et du bouc, ne veut pas
qu'ils puissent se plonger tranquillement et sans remords dans les plaisirs
de la table et les voluptés de la chair. La résurrection s'est déjà opérée
en eux, nous répètent-ils, et ils s'en autorisent pour abolir le mariage.
Dès lors, qu'ils cessent donc de manger et de boire ; car l'apôtre l'a dit :
« L'estomac et les aliments sont détruits dans la résurrection. » À quel
titre ont-ils encore faim, ont-ils encore soif, souffrent-ils encore de
l'aiguillon de la chair et des autres nécessités que n'endurera plus le
fidèle qui a reçu par Jésus-Christ la résurrection parfaite, objet de notre
espérance ? Que dis-je ? Les idolâtres eux-mêmes s'abstiennent de certains
actes de la chair. « Car, le royaume de Dieu, dit l'apôtre, ne consiste pas
dans le boire et dans le manger. » L'histoire atteste que les mages qui
adorent les anges et les démons, s'interdisent le vin, les viandes et les
rapprochements charnels. Or, de même que l'humilité réside dans la
mansuétude et non dans les macérations du corps, ainsi la continence est une
vertu de l'âme qui se trahit moins au dehors qu'elle ne séjourne dans le for
intime. D'autres hérétiques déclarent positivement que le mariage est une
fornication dont le démon est l'inventeur. Ils prétendent, ces hommes pleins
de jactance, qu'ils imitent ainsi le Seigneur, qui ne se maria point, et ne
posséda rien sur la terre ; et ils se vantent d'avoir, mieux que personne,
compris l'Évangile. L'Écriture leur répond : « Dieu résiste aux superbes et
donne sa grâce aux humbles. » Ensuite, ils ignorent pourquoi le Seigneur ne
s'est pas marié. D'abord, sa fiancée véritable fut l'Église ; puis, il
n'était pas un homme comme les autres, pour avoir besoin d'une aide selon la
chair. D'ailleurs, il ne lui était pas nécessaire d'engendrer des enfants,
lui qui demeure éternellement ; lui, le fils unique de Dieu. Or, c'est
lui-même qui dit : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a joint. » Et
encore : « Mais comme il est arrivé dans les jours de Noé, les hommes «
épousaient des femmes et mariaient leurs filles ; ils bâtissaient et
plantaient ; et comme il est arrivé dans les jours de Loth, ainsi sera
l'avènement du Fils de l'homme. » Et pour montrer qu'il ne s'adresse pas aux
Gentils, il ajoute : « Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il
trouve de la foi sur la terre ? » Et encore : « Malheur aux femmes qui
seront enceintes, ou qui allaiteront en ces jours-là ! » Toutefois, ces
choses sont dites dans un sens allégorique. C'est pourquoi il n'a pas marqué
le moment que le Père garde en ses décrets, afin que le monde continuât de
subsister par les générations. Quant à cette réponse du Seigneur : « Tous
n'entendent pas cette parole ; car il y a des eunuques sortis tels du sein
de leur mère ; il y en a que les hommes ont faits eunuques ; et il y en a
qui se sont faits eunuques eux-mêmes, à cause du royaume des Cieux ; que
celui qui peut entendre, entende. » Les hérétiques ne savent pas qu'après
que le Seigneur eut parlé du divorce, plusieurs lui demandant : « Si telle
est la conduite de l'homme avec la femme, il n'est donc pas bon de se marier
? » Il dit alors : « Tous n'entendent pas cette parole, mais ceux à qui il
est donné. » Ceux qui l'interrogeaient ainsi voulaient savoir de lui s'il
permettait qu'on épousât une autre femme, après que la première avait été
condamnée et chassée pour cause de fornication.
On dit que beaucoup d'athlètes s'abstiennent des
plaisirs charnels, pratiquant ainsi la continence à cause des exercices du
gymnase. De ce nombre furent Astyle de Crotone, et Crison d'Himère. Aménée,
le joueur de flûte, ne s'approcha point de la jeune femme qu'il venait
d'épouser. Aristote, le cyrénaïque, fut le seul qui dédaigna la passion de
Laïs. Il s'était engagé par serment, avec cette courtisane, à l'emmener dans
la patrie, si elle consentait à lui prêter quelque assistance contre ses
rivaux. Elle ne l'eut pas plutôt fait, qu'imaginant une ruse ingénieuse pour
acquitter sa parole, Aristote fit peindre cette femme avec le plus de vérité
qu'il lui fut possible, et transporta son image à Cyrène, ainsi que le
raconte Ister dans son ouvrage intitulé :
Nature des combats gymniques,
Ainsi la chasteté ne prend place parmi les vertus, qu'à la condition d'être
inspirée par l'amour de Dieu. Le bienheureux Paul ne dit-il pas de ceux qui
ont le mariage en horreur : « Dans la suite des temps, plusieurs
abandonneront la foi pour suivre des esprits d'erreur, et des doctrines de
démons, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes ?» Il dit encore :
« Que nul ne vous séduise, en affectant de paraitre humble, et en ne
ménageant point le corps. » Le même dit aussi : « Êtes-vous lié avec une
femme ? ne cherchez point à vous délier. N'avez-vous point de femme ? ne
cherchez pas à vous marier. » Et encore : « Que chaque homme vive avec sa
femme, de peur que Satan ne vous tente. » Mais quoi ? les anciens justes
aussi, ne prenaient-ils pas avec reconnaissance leur part des choses créées
? Les uns engendrèrent des enfants dans un mariage pudique et continent. Les
corbeaux apportaient à Élie sa nourriture, des pains et de la chair. Le
prophète Samuel, prenant une épaule qui restait de ce qu'il avait mangé, la
donna à Saül pour qu'il en mangeât. Or, les superbes qui, par la conduite et
le plan de la vie, prétendent l'emporter sur ces justes, ne pourront même
pas leur être comparés du côté des actions. C'est pourquoi : « Que celui qui
n'ose manger de tout ne méprise point celui qui mange, et que celui qui
mange ne condamne pas celui qui ne mange pas, puisque Dieu l'a reçu. » Il y
a plus : le Seigneur, parlant de lui-même, dit : « Jean est venu, ne
mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de
l'homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : C'est un homme
insatiable et adonné au vin, ami des publicains, et pécheur.»
Condamneront-ils aussi les apôtres ? Pierre et Philippe eurent des enfants.
Philippe, en outre, maria ses filles. Paul lui-même ne craint pas, dans une
de ses épitres, d'adresser la parole à sa femme, qu'il ne conduisait
pas partout avec lui, à cause de la promptitude et de la liberté que
réclamait son ministère. Aussi dit-il, dans une de ses épitres : «
N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme qui soit
notre sœur en Jésus-Christ, comme font les autres apôtres ? » Ceux-ci, en
effet, attachés aux devoirs de la prédication, conformément à leur
ministère, et ne devant pas en être distraits, menaient partout avec eux des
femmes, non pas en qualité d'épouses, mais avec le titre de sœurs,
pour leur servir d'interprètes auprès des femmes que leurs devoirs
retenaient à la maison, et afin que, par ces intermédiaires, la doctrine du
Seigneur pénétrât dans les gynécées, sans que la malveillance pût les blâmer
ou élever d'injustes soupçons. Nous savons tout ce qu'enseigne sur les
diaconesses le très-illustre Paul, dans la seconde épître à Timothée. Au
reste, il s'écrie lui-même : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le
boire et dans le manger, pas plus que dans le vin et les viandes que l'on
s'interdit ; mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le
Saint-Esprit. » Lequel de ces hérétiques a marché çà et là, comme Élie,
couvert d'une peau de brebis et avec une ceinture de cuir ? Qui d'entre eux
a revêtu un cilice, nu dans tout le reste du corps et sans chaussure, comme
Isaïe ? Qui porte seulement une ceinture de lin, comme Jérémie ? Qui
embrassera, sur les pas de Jean, le plan de vie digne d'un gnostique ? Tout
en macérant ainsi leur corps, les bienheureux prophètes rendaient grâces au
Créateur. Mais la prétendue justice de Carpocrate et de ceux qui, au même
droit que lui, aspirent à la communauté du libertinage, est
confondue par les paroles suivantes. Car, en même temps que le Seigneur nous
dit : « Donnez à celui qui vous demande, » il ajoute : « Ne repoussez pas
celui qui veut emprunter de vous ; » désignant ainsi le devoir de l'aumône,
et non la communauté charnelle. Or, comment y aura-t-il quelqu'un qui
demande, qui reçoive et qui emprunte, s'il ne se trouve personne qui
possède, qui donne, ni qui prête ? Mais quoi ! Lorsque le Seigneur dit : «
J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez
donné à boire ; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli ; j'étais nu, et
vous m'avez revêtu ; » et qu'il ajoute : « Autant de fois vous l'avez fait
pour un de ces petits, vous l'avez fait pour moi ; » n'a-t-il pas porté les
mêmes lois dans l'ancien Testament ? « Celui qui donne au pauvre prête « à
Dieu. » Et : « Ne t'abstiens pas de faire du bien à celui qui a besoin. » Il
dit encore : « Que la miséricorde et la foi ne t'abandonnent pas. La
pauvreté rabaisse l'homme, et la main des forts enrichit. » Et il ajoute : «
Celui qui ne donne point son argent à usure est digne d'être admis. La santé
de l'âme, voilà la véritable opulence de l'homme. » Ne nous indique-t-il
pas, avec la dernière évidence, qu'à l'exemple du monde physique, qui se
compose des contraires, du chaud et du froid, de l'humide et du sec, le
monde moral se compose aussi de gens qui donnent et de gens qui reçoivent ?
Et lorsqu'il dit encore : « Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce
que vous possédez, et donnez-le aux pauvres, » il confond celui qui se
glorifie d'avoir gardé tous les commandements depuis sa jeunesse ;
car il n'a pas accompli celui-ci : « Vous aimerez votre prochain comme
vous-même ; » c'est-à-dire que le Seigneur, pour le former à la perfection,
lui apprenait à donner dans un esprit de charité. Le Seigneur ne défend donc
pas les richesses qu'accompagne la vertu ; ce qu'il défend, ce sont
l'injustice et l'insatiabilité dans les richesses ; car, la fortune qui se
grossit par l'iniquité, décroit et dépérit. Il en est qui, en semant,
accroissent leurs trésors ; d'autres qui, en récoltant, les diminuent. C'est
à eux qu'il a été dit : « Il a répandu ses biens sur le pauvre ; sa justice
subsistera dans tous les siècles. » L'homme qui, en semant, recueille
davantage, est celui qui échange, par l'aumône, les biens de la terre et du
temps contre les biens du ciel et de l'éternité. L'autre, au contraire, est
celui dont les mains ne s'ouvrent jamais en faveur du pauvre, sans profit
pour lui toutefois, et qui enfouit ses trésors dans la terre, où la
rouille et les vers les dévorent. Cette parole s'adresse à lui : « Celui
qui amasse de l'argent dépose dans une ceinture percée. » Le Seigneur dit
dans l'Évangile, que le champ de
cet homme avait rapporté une grande
abondance de fruits ; que voulant ensuite les renfermer, et
prêt à rebâtir de plus grands greniers, il s'était dit à lui-même,
en forme de prosopopée : « Tu as beaucoup de biens rassemblés pour de
longues années ; mange, bois, réjouis-toi. Insensé ! lui dit Dieu, cette
nuit même on te redemandera ton âme ; et les choses que tu as, à qui
seront-elles ? »
CHAPITRE VII.
En quoi
la continence chrétienne l'emporte sur celle que s'attribuent les
philosophes.
Ainsi donc la continence humaine, telle que la
définissent les philosophes, je dis les philosophes de la Grèce, fait
profession de repousser le désir sans jamais céder à sa voix dans leurs
actes. La continence du Chrétien, elle, consiste à ne pas désirer, non pas à
se montrer fort contre le désir, mais à s'abstenir même de désirer. La grâce
de Dieu est le seul moyen d'acquérir cette vertu. Voilà pourquoi le Seigneur
a dit : « Demandez et l'on vous donnera.» Moïse obtint aussi cette grâce,
afin qu'affranchi des besoins du corps, il n'éprouvât ni la faim ni la soif,
pendant quarante jours. De même qu'il vaut mieux avoir la santé que de
discourir sur la santé dans l'état de maladie ; de même, il vaut mieux être
la lumière que de raisonner sur la lumière ; de même enfin, la continence
qui émane de la vertu, vaut mieux que celle qu'enseignent les philosophes.
En effet, où est la lumière les ténèbres ne sont pas. Mais là où le désir
siège seul, bien qu'inactif, il ne participe à aucun acte corporel,
cependant, par le souvenir il a commerce avec les objets éloignés. Quant à
nous, disons en général du mariage, des aliments et des choses qui leur
ressemblent, qu'au lieu de nous laisser conduire par la passion, il faut
nous borner au nécessaire. Nous ne sommes pas les enfants du désir, mais les
enfants de la volonté. Celui qui s'est marié pour donner le jour à des
enfants, a obligation de s'exercer à la continence, afin de ne pas désirer
même sa propre femme, qu'il doit chérir, en n'apportant à la procréation
qu'une volonté chaste et tempérante. En effet, nous n'avons point appris «à
contenter la chair.» Loin de là ! Nous marchons dans le Christ, qui est
notre jour, et dans une vie
sagement réglée, qui est la lumière
du Christ, et non « dans la débauche, dans les festins, dans les
impudicités, dans les dissolutions, dans les querelles et dans les
jalousies.» Qu'on ne s'y trompe pas ! Il ne convient pas d'envisager la
continence sous un seul point, par rapport aux plaisirs de la chair, par
exemple ; elle embrasse toutes les convoitises auxquelles peut se porter une
âme sensuelle, avide de voluptés et incapable de se borner au nécessaire.
L'œuvre de cette vertu est de mépriser l'argent, d'étouffer la volupté, de
fouler aux pieds les richesses, de dédaigner les spectacles, de modérer la
langue, de maîtriser par la raison les appétits déréglés. Quelques anges,
devenus incontinents et vaincus par la concupiscence, ne sont-ils pas tombés
du ciel sur notre terre ? Valentin, dans son épitre à Agathopode, dit : «
Jésus, après avoir résisté à toutes les tentations, déployait la continence
d'un Dieu. Il mangeait et buvait d'une manière qui lui était propre ; il ne
rendait jamais les aliments qu'il prenait ; il y avait en lui une telle
force de continente pureté que la nourriture ne se corrompait pas dans un
corps qui n'avait point à passer par la corruption du tombeau.» Pour nous,
Chrétiens, nous pratiquons la continence et sanctifions le temple de
l'Esprit saint par amour pour le Seigneur, non moins que par estime pour ce
qui est beau. Car il est beau « de se faire eunuque de tout désir, à cause
du royaume de Dieu, et de purifier sa conscience des œuvres mortes, afin de
rendre un vrai culte au Dieu vivant.»
Quant à ceux qui, par haine de la chair, désirent en
ingrats briser l'union conjugale, et renoncer aux aliments établis par
l'usage, ce sont des ignorants et des impies qui poursuivent à la manière de
plusieurs nations païennes, une continence extravagante. Ainsi les
Brachmanes ne mangent rien de ce qui a eu vie, et ne boivent pas de vin. Les
uns prennent leur nourriture, tous les jours, comme nous ; les autres, tous
les trois jours seulement, s'il faut en croire Alexandre Polyhistor, dans
son livre sur les Indiens. Ils méprisent la mort et ne font nul cas de la
vie ; car ils croient à une vie nouvelle. Quelques-uns adorent Hercule et
Pan. Parmi les Indiens, ceux qu'on appelle saints, passent toute leur
vie sans aucun vêtement, livrés à la recherche de la vérité, prédisant
l'avenir, et adorant je ne sais quelle pyramide, sous laquelle ils imaginent
que reposent les os de quelque dieu. Ni les Gymnosophistes, ni ceux qu'on
appelle saints, n'usent des plaisirs de la chair, qu'ils regardent
comme un acte inique et contre nature : motif pour lequel ils se conservent
chastes. Les Indiennes que l'on appelle saintes, gardent aussi leur
virginité. Les uns et les autres observent les astres, et annoncent l'avenir
d'après les figures qu'ils découvrent
dans les phénomènes célestes.
CHAPITRE VIII.
Il
explique les passages des saintes Écritures dont les hérétiques se sont
servis pour attaquer le mariage. Il défend d'abord saint Paul d'une
interprétation impie que les hérétiques ont donnée à quelques-unes de ses
paroles.
Les partisans de la doctrine que les actions sont
indifférentes, détournant de leur vrai sens quelques passages des Écritures,
pensent y trouver une excuse à leur sensualité. Ils font, surtout, grand
bruit de ce texte : «Car le péché n'aura plus d'empire sur vous, parce que
vous n'êtes plus sous la loi, mais sous la grâce.» Ils en allèguent d'autres
encore de cette nature qu'il est inutile de rappeler ici, puisque je n'arme
pas un vaisseau de corsaire. Confondons en peu de mots leur vaine tentative
!
L'illustre apôtre, dans les paroles qu'il ajoute à
celles que je viens de citer, repousse l'accusation intentée contre lui : «
Mais quoi ? pécherons-nous parce que nous ne sommes plus sous la loi, mais
sous la grâce ? Dieu nous en garde ! » N'est-ce pas détruire immédiatement,
par une réfutation divine et toute prophétique, les sophismes à l'usage de
la volupté ? Ils ne comprennent pas, à ce qu'il semble, « que nous devons
tous comparaitre devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive
ce qui est dû à ses bonnes ou ses mauvaises actions, pendant qu'il était
revêtu de son corps. Si donc, quelqu'un est à Jésus-Christ, c'est une
créature nouvelle » qui n'est plus sujette au péché. Ce qui était vieux est
passé ; nous nous purifions de notre ancienne vie. « Voici que tout est
devenu nouveau, » la chasteté succède à la fornication ; la continence à
l'incontinence ; la justice à l'injustice. « En effet, quel lien peut-il y
avoir entre la justice et l'iniquité. Quelle union entre la lumière et les
ténèbres ? Quel accord entre Jésus-Christ et Bélial ? Quelle société entre
le fidèle et l'infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles
? Ayant donc reçu ces promesses, purifions-nous de tout ce qui souille le
corps et l'esprit, achevant l'œuvre de notre sanctification dans la crainte
de Dieu.»
CHAPITRE IX.
Il
examine la réponse du Christ à Salomé.
Les hérétiques qui, par les dehors d'une spécieuse
continence, s'interdisent l'usage des créatures de Dieu, invoquent à leur
appui les paroles qui furent adressées à Salomé, et que nous avons citées
plus haut. Elles se trouvent, si je ne me trompe, dans l'Évangile selon les
Égyptiens. Ils veulent, en effet, que le Sauveur lui-même ait prononcé cet
oracle : « Je suis venu pour détruire les œuvres de la femme ; » de la
femme, c'est-à-dire du désir ; les œuvres, c'est-à-dire la
naissance et la mort. Que diront-ils donc ? Que cet ordre a été détruit ?
Ils n'oseront l'affirmer ; le monde obéit toujours aux mêmes lois. Mais le
Seigneur ne nous a point trompés ; car, en vérité, il a détruit les œuvres
de la concupiscence, l'amour de l'argent, des querelles, de la gloire, la
passion effrénée des femmes, la pédérastie, la gourmandise, la prodigalité
et les autres abominations semblables. Or, la naissance de ces vices est la
mort de l'âme, puisque nous mourons véritablement par nos péchés. Par
la femme, il entend l'intempérance. Mais il est nécessaire que la
naissance et la mort des créatures aient lieu conformément aux lois
établies, jusqu'au jour de la séparation définitive, et du rétablissement de
l'élection par laquelle les substances mêlées au monde seront rendues à leur
état naturel. Il n'est donc pas étonnant que le Verbe, ayant parlé de la
consommation des temps, Salomé ait dit : « Jusques à quand les hommes
mourront-ils ? » Or, l'Écriture donne à l'homme un double nom ; l'homme
extérieur et l'âme ; et encore, celui qui est sauvé et
celui qui ne l'est pas. Quant au péché, il est appelé la mort de l'âme.
C'est pour cela que le Seigneur répond avec circonspection et sagesse : «
Tant que les femmes enfanteront ; » c'est-à-dire, aussi longtemps que durera
l'action des désirs. Aussi, écoutez l'apôtre : « Comme le péché est entré
dans ce monde par un seul homme, et la mort par le péché ; ainsi la mort a
passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché. » Et : « La
mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse. » Par une nécessité naturelle de
l'ordre que Dieu a établi, la mort suit la naissance ; et la séparation du
corps et de l'âme est amenée par leur réunion. Mais si la naissance a lieu
pour la discipline et la connaissance, la séparation a lieu dans un but de
rétablissement. De même que la femme est regardée comme la cause de la mort,
parce qu'elle enfante ; ainsi, par le même motif, elle sera nommée le chef
de la vie. La femme qui donna le premier exemple de la désobéissance fut
nommée la vie, (Ève, en grec,
Zoe), à cause de la succession d'êtres qui devaient descendre d'elle ;
mère également de ceux qui naissent et de ceux qui sont morts, justes ou
injustes ; selon que chacun de nous travaille à sa justification, ou, au
contraire, se révolte volontairement contre la loi. J'en conclus que
l'apôtre n'a aucune horreur de la vie qui anime la chair, lorsqu'il dit :
« Mais, parlant avec toute liberté, Jésus-Christ sera encore glorifié dans
mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort, comme il l'a toujours été ;
car Jésus-Christ est ma vie, et la mort m'est un gain. Mais si en demeurant
plus longtemps dans ce corps mortel, je dois être utile, je ne sais que
choisir. Je me sens pressé des deux côtés ; j'ai, d'une part, un ardent
désir d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ, ce qui
vaudrait beaucoup mieux pour moi ; de l'autre, il est plus avantageux pour
vous que je demeure en cette vie. » Ne montre-t-il pas ouvertement par ces
paroles, que la mort, en brisant la prison de l'âme, nous consomme dans
l'amour de Dieu, et que la perfection de la vie, tant que nous sommes
retenus dans la chair, est une attente et une patience pleine de gratitude,
à cause de ceux qui ont besoin d'être sauvés ? Mais pourquoi les téméraires
qui prennent pour guide leur liberté naturelle plutôt que la règle
évangélique dont la vérité est le fondement, n'ajoutent-ils pas à leurs
citations précédentes les paroles qui suivent et qui sont empruntées à
celles que le Seigneur adresse à Salomé ? Cette femme venait de dire : «
J'ai donc bien fait, moi qui n'ai pas enfanté ; » se louant ainsi de n'avoir
pas été mère. Le Seigneur lui réplique : « Nourrissez-vous de toute herbe,
mais non de celle qui est amère. » Il indique par là que la continence et le
mariage sont laissés à notre choix, sans qu'il y ait nécessité ni
commandement de l'un ou de l'autre ; il prouve, de plus, que le mariage
continue l'œuvre de la création. Qu'on cesse donc de regarder comme une
prévarication, l'union contractée selon le Verbe, à moins qu'on ne juge
comme trop pénible le soin d'élever des enfants, dont la privation est si
douloureuse pour d'autres. En outre, que la paternité ne paraisse amère à
personne, en tant qu'elle détourne des œuvres divines par les mille
occupations qu'elle entraine avec elle. Cet homme, incapable de porter
facilement la vie solitaire, désire une famille, puisque la jouissance
tempérante des choses qui plaisent n'encourt point de reproche, et que
chacun de nous peut à son choix désirer des enfants. Mais, j'en ai fait la
remarque, plusieurs de ceux qui se sont abstenus du mariage, sous prétexte
de ses embarras et de ses soucis, sont tombés dans une dure misanthropie,
opposée à la sainte connaissance, et le feu de la charité s'est éteint dans
leurs cœurs. D'autres, au contraire, enchaînés au mariage et menant une vie
toute charnelle au milieu des condescendances de la loi,
sont devenus, selon le langage du prophète, semblables aux
animaux.
CHAPITRE X.
Sens
mystique d'une parole de Jésus-Christ, rapportée par saint Mathieu.
Mais qui sont ces deux ou trois personnes assemblées
au nom du Christ et au milieu desquelles habite le Seigneur ? Ces
paroles ne désignent-elles pas l'homme, la femme et l'enfant né de cette
alliance, parce que la femme est unie à l'homme en Dieu ? Quant à celui qui
veut rester libre de toute entrave pour l'œuvre chrétienne, et qui se refuse
à la paternité à cause de ses devoirs et de ses embarras,
qu'il demeure dans le célibat, comme moi, dit l'apôtre. Cherchons la
signification de ces mots. « À en croire l'interprétation de quelques
hérétiques, le Créateur, le Dieu auteur de la génération, résiderait avec le
grand nombre ; tandis que le Sauveur, le fils de l'autre Dieu, c'est-à-dire
du Dieu bon, habite avec un seul, avec l'élu. » Il n'en est rien. Dieu, par
l'intermédiaire de son fils, habite avec ceux qui portent une sage
tempérance dans le mariage et dans la génération, comme le même Dieu habite
pareillement avec celui qui pratique une continence animée de l'esprit du
Verbe. On pourrait encore, par ces trois personnes dont a parlé le Christ,
entendre la colère, le désir et la raison ; ou bien, la chair, l'âme et
l'esprit. Peut-être aussi cette sorte de trinité représente-t-elle la
vocation, la seconde élection et la troisième espèce d'élection, la plus
glorieuse de toutes, avec lesquelles habite la puissance d'un Dieu,
universelle et divisible tout en demeurant
une. L'homme donc, qui use des
facultés naturelles de l'âme avec une tempérance raisonnable, désire les
objets qui lui conviennent, et repousse les choses qui lui répugnent, dans
la mesure des commandements. « Tu béniras, disent-ils, qui te bénira ; tu
maudiras qui te maudira. » Mais quand, élevé au-dessus de la colère et du
désir, et aimant réellement la créature en vue de Dieu, créateur de toutes
choses, il a embrassé la vie d'un gnostique, et s'est établi, par sa
ressemblance avec le Sauveur, dans un état de continence qui n'a plus rien
de laborieux pour lui, parce qu'il a réuni la connaissance, la foi et
l'amour, alors, devenu un dans ses jugements, véritablement spirituel,
n'ouvrant jamais son âme aux moindres pensées qui proviennent de la colère
et du désir, homme parfait enfin, rendu semblable au Seigneur par le
Créateur lui-même, et bien digne d'être appelé frère par le Sauveur, voilà
le fils, voilà l'ami. C'est ainsi que deux ou trois personnes sont
assemblées dans le même lieu, c'est-à-dire dans le vrai gnostique. Il se
pourrait encore que cette communauté de sentiment, exprimée par les trois
personnes avec lesquelles se trouve le Seigneur, signifiât une seule Église,
un seul homme, une seule race. Quand le Seigneur porta la loi, n'était-il
pas avec le Juif, à l'exclusion de tout autre peuple ? Et lorsqu'il fit
retentir les prophéties, lorsqu'il envoya Jérémie à Babylone, lorsqu'il
appela, par la prédication, les Gentils, ne rassembla-t-il pas deux peuples
? Et le troisième, n'est-ce pas celui qui a été formé de ces deux peuples «
en un seul homme nouveau dans lequel Dieu habite et marche au sein de
l'Église elle-même ?» La loi ancienne, les prophètes, l'Évangile, ne se
confondent-ils pas au nom du Christ dans une seule
connaissance ? (gnose.) Les
insensés qui, par haine, fuient le mariage, ou qui, par concupiscence,
abusent sans scrupule de la chair, comme chose indifférente, ne sont donc
point du nombre des élus, avec lesquels habite le Seigneur.
CHAPITRE XI.
Préceptes
de la loi et du Christ qui défendent la concupiscence.
Ces principes ainsi démontrés, rappelons les passages
des Écritures qui combattent les sophismes des hérétiques, et indiquons la
règle d'après laquelle se gouverne la continence animée de l'esprit du
Verbe. L'Écriture renferme des textes propres à la réfutation de chaque
hérésie en particulier. Le fidèle qui a l'intelligence des livres saints,
s'en servira, comme d'une arme judicieuse, pour réfuter les novateurs qui
dogmatisent contre les commandements. Pour reprendre les choses de plus
haut, la loi, comme nous l'avons déjà déclaré, prononça cet oracle : « Tu ne
désireras point la femme de ton prochain, » avant que le Christ eût
promulgué dans le nouveau Testament une défense semblable, en conversant
avec nous sans intermédiaire : « Vous avez entendu que la loi dit : Tu ne
commettras point d'adultère. Et moi, je vous dis : Vous ne convoiterez pas.»
Que la loi enjoigne à l'époux d'user sobrement du mariage et uniquement dans
le but de la procréation des enfants, c'est ce qui résulte manifestement de
ses paroles, quand elle défend à tout homme, qui vit dans le célibat, « de
s'approcher immédiatement de sa captive. Une fois qu'elle lui aura inspiré
des désirs, il lui permettra de pleurer pendant trente jours, après que sa
chevelure sera tombée sous les ciseaux. » Si le désir ne s'éteint pas dans
le deuil et l'absence, il peut dès lors engendrer avec elle ; les mouvements
qui le dominent, éprouvés par un temps limité, ne sont plus que des désirs
raisonnables. Aussi ne me citerez-vous jamais, l'Écriture à la main, un seul
homme de l'ancienne loi qui se soit approché d'une femme enceinte, mais vous
trouverez partout que les relations conjugales n'ont été rétablies qu'après
la délivrance de l'épouse et l'entier allaitement des enfants. Que dis-je ?
Le père de Moïse, déjà fidèle à cette institution, n'engendre Moïse qu'après
un intervalle de trois ans entre la naissance d'Aaron et celle du
nouveau-né. Si j'examine la tribu de Lévi, je vois qu'elle entra dans la
terre promise, inférieure en nombre aux autres tribus, pour avoir gardé
rigoureusement cette loi de la nature, que Dieu nous a transmise. En effet,
la population s'accroît lentement dans les races, quand les hommes ne
connaissent les femmes qu'en légitime mariage et qu'ils attendent pour les
rapprochements de la chair, non-seulement les derniers termes de la
grossesse, mais encore ceux de l'allaitement. Voilà pourquoi Moïse, pour
faire avancer les Juifs par degrés dans la continence, veut avec raison
qu'ils n'entendent la parole de Dieu qu'après s'être abstenus pendant trois
jours consécutifs de l'acte conjugal. « Nous sommes donc le temple de Dieu,
» suivant le langage du prophète. « J'habiterai en eux et je marcherai au
milieu d'eux, et je serai leur Dieu, et ils seront mon « peuple.» Mon peuple
! Pourvu que nous ayons, soit individuellement, soit, comme Église tout
entière, réglé notre vie sur ses commandements. « C'est pourquoi,
retirez-vous du milieu d'eux, et ne touchez point à ce qui est impur, et je
vous recevrai. Je serai votre père, et vous serez mes fils et mes filles,
dit le Seigneur tout-puissant.» Que prétend-il par cet oracle prophétique ?
Que nous nous séparions des hommes qui ont contracté des mariages ?
Nullement. Il nous prescrivait de rompre avec les gentils qui vivent encore
dans la fornication, de rompre avec les hérésies que nous avons nommées plus
haut, parce qu'elles sont entachées de souillure et d'impiété. De là vient
que Paul aussi, s'élevant indirectement contre des doctrines semblables,
écrit ces mots : « Recevez donc ces promesses, mes bien aimés ! purifions
nos propres cœurs de tout ce qui souille l'esprit, achevant l'œuvre de notre
sanctification, dans la crainte de Dieu. Car je vous aime pour Dieu d'un
amour de jalousie, depuis que je vous ai fiancés à cet unique époux, qui est
Jésus-Christ, pour vous présenter à lui, comme une vierge toute pure.»
L'Église, il est vrai, ne peut s'unir à un autre époux puisqu'elle a déjà un
fiancé ; mais chacun de nous est libre d'épouser en mariage légitime la
femme qu'il veut, en premières noces[1]
toutefois. « Mais je crains que comme
Ève fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent
pareillement et ne dégénèrent de la simplicité chrétienne, » dit l'apôtre
avec une piété profonde et par forme d'enseignement. Écoutons encore
l'admirable Pierre : « Je vous exhorte, mes bien aimés, étrangers et
voyageurs que vous êtes eu ce monde, à vous abstenir des désirs charnels qui
combattent contre l'esprit. Vivez saintement parmi les gentils, car la
volonté de Dieu est que, par votre bonne vie, vous fermiez la bouche et ne
laissiez rien à dire aux insensés. Vous êtes libres, non pour vous servir de
votre liberté comme d'un voile qui couvre vos mauvaises actions, mais pour
agir en serviteurs de Dieu.» Paul, dans son épitre aux Romains, écrit
pareillement : « Une fois que nous sommes morts au péché, comment
vivrons-nous encore dans le péché ? Le vieil homme a été crucifié dans nous
avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché soit détruit, etc., etc. »
Jusqu'à ces mots : « N'abandonnez pas non plus les membres de votre corps au
péché pour servir d'armes d'iniquité.»
Puisque j'en suis là, il me parait bon de ne point
passer outre sans faire remarquer que l'apôtre proclame le même Dieu par la
loi, les prophètes et l'Évangile. Car ces mots : « Tu « ne convoiteras pas,
» qui se trouvent dans l'Évangile, Paul, dans l'épitre aux Romains, les
attribue à la loi, sachant bien que le Dieu qui a parlé par l'organe de la
loi et des prophètes, et ce Dieu que lui-même proclame par l'Évangile, ne
sont qu'un seul et même Dieu. Paul dit, en effet : « Que dirons-nous ? La
loi est-elle un péché ? Loin de nous cette pensée ! Mais je n'ai connu le
péché que par la loi ; » car je n'aurais point connu la convoitise, si la
loi n'avait dit : « Vous ne convoiterez point.» Que si les hétérodoxes, nos
adversaires, s'imaginent que Paul, par ces mots : « Je sais qu'il n'y a rien
de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair ;» avait dessein d'attaquer le
Créateur, qu'ils lisent les paroles qui précèdent et qui suivent. L'apôtre
avait dit auparavant : « C'est le péché qui habite en moi.» Il était donc
naturel de dire : « Il n'y a rien de bon dans ma chair.» En conséquence, il
ajoute : « Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le
fais, mais c'est le péché qui habite en moi,» le péché, dit-il, « qui
combattant contre la loi de Dieu et de mon esprit, me tient captif sous la
loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! qui me
délivrera de ce corps de mort?» Et de plus (car il ne se lasse jamais de
nous venir en aide de toute manière), il ne craint pas d'ajouter, par forme
de conclusion : «La loi de l'esprit m'affranchit de la loi du péché et de la
mort, puisque Dieu, par son fils, a condamné le péché dans la chair, afin
que la justice de la loi soit accomplie en nous, qui ne marchons pas selon
la chair, mais selon l'esprit.» En outre, expliquant encore ce qu'il a déjà
dit, il s'écrie : «Le corps est mort à cause du péché ;» montrant ainsi que
le corps n'est pas le temple, mais le sépulcre de l'âme. « Car, depuis qu'il
a été consacré à Dieu, l'esprit de celui qui a ressuscité le Christ, ajoute
Paul, habite en vous, et rendra la vie à vos corps mortels, à cause de son
esprit qui habite en vous. » Puis reprenant encore une fois les voluptueux :
« L'amour des choses de la chair est la mort, dit-il, parce que ceux qui
vivent selon la chair, aiment et goûtent les choses de la chair ; et l'amour
des choses de la chair est ennemi de Dieu, parce qu'il n'est point soumis à
la loi de Dieu. Ceux qui sont charnels,» non comme l'entendent plusieurs
hérétiques, mais comme nous l'avons expliqué nous-mêmes, ne peuvent plaire à
Dieu. Pour distinguer ces hommes charnels des autres, il dit à l'Église : «
Pour vous, vous ne vivez point selon la chair, mais selon l'esprit ; si
toutefois l'esprit de Dieu est en vous : or, celui qui n'a pas l'esprit de
Jésus-Christ, n'est point à lui. Mais si Jésus-Christ est en vous, quoique
le corps soit mort à cause du péché, l'esprit est vivant à cause de la
justice. Ainsi, mes frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour
vivre selon la chair. Que si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais
si vous faites mourir par l'esprit les passions de la chair, vous vivrez ;
car tous ceux qui sont poussés par l'esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. »
Puis, condamnant indirectement cette prétendue noblesse et cette royale
indépendance, si honteusement proclamée par des hommes qui tirent vanité de
leurs dissolutions, il ajoute : «Aussi n'avez-vous point reçu l'esprit de
servitude, pour vous conduire encore par la crainte, mais vous avez reçu
l'esprit d'adoption des enfants, par lequel nous crions mon Père, mon Père !
» Nous l'avons reçu ! qu'est-ce à dire ? afin de connaître celui auquel nous
adressons nos prières, le père véritable, le père unique de toutes les
Créatures, celui qui comme un père, nous forme au salut par les leçons de
l'enseignement et les menaces de la crainte.
CHAPITRE XII.
Il
explique plusieurs passages de saint Paul et des saintes Écritures.
Ce passage : « Les époux qui, d'un consentement mutuel,
vaquent pour un temps à la prière, » est pour nous une règle de continence.
Car l'apôtre ajoute ces mots d'un consentement mutuel, afin que
personne ne soit tenté de rompre les liens du mariage ; pour un temps,
de peur que le mari, lié par une continence forcée, ne tombe dans la
prévarication, et qu'en épargnant la couche conjugale, il ne convoite celle
d'autrui. Voilà pourquoi Paul dit ailleurs : « Si quelqu'un croit qu'il est
honteux pour lui de garder sa fille sans la marier, il peut la donner en
mariage. » Mais la résolution, soit de rester vierge, soit de s'engager dans
les liens du mariage, une fois arrêtée, doit persévérer inébranlable, sans
jamais incliner à la faiblesse. Si la chasteté parvient à se raidir contre
la chair, dans le régime qu'elle a embrassé, elle croit en dignité auprès du
Seigneur, par cette continence pleine de pureté et conforme à l'esprit du
Verbe. Vient-elle, au contraire, à tomber des hauteurs de la règle, elle se
relève dans les bras de l'espérance pour monter à une gloire plus belle.
Ainsi que la virginité, le mariage a ses désirs et ses fonctions spéciales,
honorables aux yeux du Seigneur, je veux dire, le soin et l'entretien de la
femme et des enfants. Car les relations habituelles du lien conjugal font de
l'époux parfait une sorte de providence qui veille à tous les besoins de la
communauté. Voilà pourquoi il faut, dit l'apôtre, n'instituer
évêques que ceux qui se sont
préparés, par le gouvernement de la famille, au gouvernement de l'Église
entière. « Que chacun accomplisse donc son œuvre dans le ministère qu'il
remplissait lorsqu'il a été appelé, » afin qu'il devienne libre en
Jésus-Christ, et qu'il reçoive la récompense due à son ministère. Et
ailleurs, à l'occasion de la loi, l'apôtre dit encore par figure : « Ainsi
une femme mariée est liée par la loi à son mari, tant qu'il est vivant ;
etc... » Il dit encore : « La femme est liée tant que son mari est vivant ;
mais si son mari meurt, elle est libre de se marier, pourvu que ce soit
selon le Seigneur. Néanmoins, elle sera heureuse si elle demeure veuve, et
c'est ce que je lui conseille. » Dans la première proposition, l'apôtre nous
dit : « Vous êtes morts à la loi, » et non au mariage comme le veulent nos
adversaires, « pour être la fiancée et l'Église d'un autre qui est
ressuscité d'entre les morts. » Fiancée, Église qui doit fermer son cœur à
toutes les pensées contraires à la vérité ; ses oreilles, à toutes les
hérésies qui nous poussent à délaisser notre époux unique, le Tout-Puissant,
pour nous prostituer ailleurs ! Sans cette vigilance, trompés par les pièges
de l'hérésie, comme autrefois Ève, surnommée la Vie, nous transgresserions
les commandements. Le second verset prescrit le mariage unique ; mais, il ne
faut pas croire, avec plusieurs, que l'apôtre ait voulu dire que le lien
de la femme avec l'homme est l'union de la chair avec la mort. Nullement
; il s'élève contre l'opinion des Impies, qui osent attribuer au démon
l'institution du mariage, et livrent le nom du législateur véritable aux
blasphèmes des païens. Tatien de Syrie n'a pas craint de professer ces
doctrines. Il écrit, dans son livre De la perfection selon le Sauveur
: « L'apôtre applique le consentement à la prière ; mais la communauté de la
mort et de la corruption rompt tout commerce avec Dieu. Sa prudente
concession n'est qu'un avertissement de nous abstenir. Car, en permettant
aux époux de vivre encore ensemble, à cause de Satan et de l'incontinence,
il déclare que profiter de cette permission c'est servir deux maîtres ;
Dieu, par le consentement ; l'incontinence, la fornication, le démon,
par la dissidence. »
C'est ainsi que Tatien interprète les paroles de
l'apôtre. Mais, en appelant ce qui n'est pas au secours de ce qui est, il
nous donne des sophismes pour la vérité. Nous aussi, nous convenons que
l'incontinence et la fornication sont des suggestions de Satan ; mais le
consentement, intervenant dans un mariage pudique, porte les deux époux,
ici, à la prière par la continence ; là, les rapproche réciproquement dans
de chastes nœuds, pour la génération des enfants.
Il n'en faut point douter ; l'Écriture donne au temps
de la procréation le nom de connaissance, lorsque nous lisons : « Adam
connut Ève, sa femme, laquelle conçut et enfanta un fils, en disant : Le
Dieu m'a donné un autre fils au lieu d'Abel. » Comprenez-vous maintenant à
qui s'attaquent les blasphémateurs qui ont en abomination les chastes
relations de la chair, et qui attribuent au démon l'œuvre de la génération ?
Moïse ne dit pas simplement Dieu ; mais en faisant précéder ce mot de
l'article le, il désigne celui auquel appartient la toute-puissance.
Ces mots ajoutés par l'apôtre : « Et de nouveau vivez ensemble comme
auparavant, à cause de Satan, » n'ont pour objet que de retrancher d'avance
dans notre cœur toute convoitise étrangère. Car ce consentement pudique de
se refuser pour un temps l'un à l'autre, ne repousse pas à tout jamais comme
honteux les appétits de la nature, puisque c'est par le consentement que
l'apôtre rapproche de nouveau les deux époux, non pour qu'ils se livrent à
l'incontinence, à la fornication et aux œuvres du démon, mais de peur qu'ils
ne succombent à l'incontinence, à la fornication, aux attaques du démon.
Tatien distingue encore l'homme ancien de
l'homme nouveau, mais dans un autre sens que nous. D'accord avec lui,
nous entendons par l'homme ancien, la loi de Moïse ; par l'homme
nouveau, l'Évangile. Mais où nous différons, c'est quand il abroge la
loi ancienne comme émanant d'un autre Dieu. Selon nous, l'Homme-Dieu,
renouvelant ce qui était suranné, ne permet plus la polygamie que Dieu
lui-même exigeait, quand elle était nécessaire à ses desseins pour
l'accroissement et la multiplication des hommes. Mais le Seigneur, en
conservant le mariage pour la propagation de l'espèce, et pour le soin de la
maison où la femme apporte son assistance, établit qu'on ne se mariera
qu'une fois, bien que la condescendance de l'apôtre, afin d'empêcher
quelques-uns de brûler ou de tomber dans l'incontinence, leur
accorde la faveur d'un second mariage. Toutefois, l'homme qui contracte une
seconde union, ne pèche pas aux termes de la nouvelle alliance ; la loi ne
la lui interdit pas ; seulement il n'atteint pas à cette haute perfection
que propose l'Évangile. Au contraire, quelle gloire n'acquiert-on pas dans
les cieux, lorsque, renfermé en soi-même, on conserve pur le lien qu'a brisé
la mort, et qu'on accepte résolument et avec reconnaissance cette viduité
qui consacre toutes les facultés de l'homme au sacerdoce du Seigneur ?
La divine sagesse n’ordonne pas davantage, par la
bouche du Seigneur, que l'époux, au sortir du lit conjugal, recoure à la
coutume des ablutions antiques ; car le Seigneur ne contraint pas les
fidèles à s'abstenir de la génération. Par un baptême unique, il purifie
pour toute la durée des rapprochements charnels les serviteurs qui lui
appartiennent, renfermant dans une seule immersion les nombreuses ablutions
de Moïse. La loi ancienne, qui cachait dès l'origine le symbole de notre
régénération future sous la génération charnelle, associait son baptême à la
faculté génératrice de la semence humaine, comme pour attester qu'elle
n'avait pas la procréation en horreur. En effet, l'homme tout entier est
contenu dans le germe primordial. Ce qui constitue la génération, ce n'est
pas le nombre des actes de la chair, mais la fécondation du laboratoire de
la nature où la semence s'épaissit en embryon. Je le demande, comment le
mariage institué par la loi serait-il le seul mariage ? Comment celui de
Moïse et celui du Christ seraient-ils en opposition puisque nous avons
conservé le même Dieu ? L'homme n'a point autorité pour dissoudre ce que
Dieu a joint. À plus forte raison le fils maintiendra-t-il les
institutions du père. Et si la loi et l'Évangile émanent du même
législateur, il est donc d'accord avec lui-même ; car la loi vit,
spirituelle qu'elle est et comprise dans son sens mystique. Mais nous,
nous sommes morts à la loi par le corps de Jésus-Christ, pour être à un
autre maître qui est ressuscité d'entre les morts, et dont l'avènement a
été prédit par la loi, afin que nous portions des fruits pour Dieu.
Voilà pourquoi la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon.
Nous sommes donc morts à la loi, qu'est-ce à dire ?
morts au péché que manifeste la
loi, que la loi n'engendre pas, mais qu'elle met en lumière, ici, par le
précepte, là, par la prohibition, reprenant le péché présent, afin qu'il
nous apparaisse comme prévarication.
Le mariage établi par la loi est un péché, dites-vous ?
— Je ne sais plus, dès-lors, comment on peut se glorifier de connaître Dieu,
puisque cela revient à dire que Dieu commande le péché. Si la loi est
sainte, saint aussi est le mariage. L'apôtre applique donc ce sacrement à
l'union mystique de Jésus-Christ et de l'Église : « De même que ce qui est
né de la chair est chair, ainsi ce qui est né de l'esprit est esprit, » dans
le double enfantement soit de la chair, soit de l'intelligence.
Conséquemment, ce sont des enfants saints et agréables à Dieu, que
les paroles du Seigneur, par lesquelles ont été consommées les fiançailles
de notre âme. Rien donc de commun entre la fornication et le mariage,
puisqu'il y a loin de Satan à Dieu. « C'est pourquoi vous êtes vous-mêmes
morts à la loi par le corps de Jésus-Christ, pour être à un autre, qui est
ressuscité d'entre les morts. » Mais, en même temps, il est entendu par là :
Si vous avez été obéissants ; puisque, d'après la vérité de la loi, nous
obéissons au même Seigneur qui nous a parlé dans les deux Testaments.
L'Esprit saint a donc raison quand il désigne ouvertement ces docteurs de
mensonges : « Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi pour
suivre des esprits d'erreur, des doctrines de démons et des imposteurs
pleins d'hypocrisie, qui auront la conscience cautérisée, qui interdiront le
mariage et l'usage des viandes que Dieu a créées pour être mangées avec
actions de grâces par les fidèles et par ceux qui connaissent la vérité.
Tout ce que Dieu a créé est bon, et l'on ne doit rejeter aucune des choses
qui peuvent être prises avec actions de grâces, parce qu'elles sont
sanctifiées par la parole de Dieu et par la prière. » Il n'est donc pas
nécessaire de prohiber le mariage, les viandes et le vin ; car il est écrit
: « Il est bon de ne point manger de chair, ni de boire de vin, si on le
fait avec scandale ; et il est bon de demeurer dans l'état où je suis
moi-même. » Toutefois, que celui qui ne s'abstient pas rende grâces au
Seigneur comme celui qui s'abstient, usant du mariage avec tempérance et
dans l'esprit du Verbe. En somme, toutes les épitres où l'apôtre nous
enseigne la modération et la continence, renferment sur le mariage, sur la
procréation des enfants, sur le gouvernement de la famille, une foule de
préceptes. Nulle part je ne les vois prohiber l'union conjugale que règle la
chasteté. Loin de là ! fidèles à l'harmonie qui règne entre la loi et
l'Évangile, elles admettent également, et celui qui use du mariage avec
tempérance, en rendant grâces à Dieu, et celui qui s'impose la continence
que désire le Seigneur, chacun selon qu'il a été appelé,
irréprochable et pur dans son choix. « La terre de Jacob était louée
au-dessus de toute autre, dit le prophète, pour glorifier le sanctuaire de
l'esprit qui l'inspirait. »
«Ne me parlez pas de la génération, dit je ne sais quel
hérétique. Elle donne le jour à des enfants qui naissent pour la corruption
et la mort. » Et ici, par une interprétation forcée, il veut que le Sauveur
ait fait allusion à la procréation des enfants quand il a dit : « N'amassez
pas des trésors sur la terre, où la rouille et les vers les dévorent. » Il
ne rougit pas d'attribuer le même sens à ces paroles du prophète : « Vous
tous, vous vieillirez comme un vêtement et vous serez la pâture des vers. »
Assurément nous n'imaginons pas de contredire les Écritures, en niant que
nos corps soient d'une nature corruptible et caduque ; mais ne serait-il pas
possible que le prophète adressât cette menace aux pécheurs avec lesquels il
s'entretenait ? Quant au Seigneur, loin de songer à condamner la procréation
des enfants, il avait en vue d'exhorter à l'aumône et à la charité ceux qui
ne s'occupent que d'amasser, sans vouloir secourir les indigents. «
Travaillez, dit-il, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui
demeure dans la vie éternelle. »
On s'arme encore de cette parole du Christ sur la
résurrection des morts : « Les enfants de ce siècle n'épousent pas de
femmes, ni les femmes de maris. » Mais qu'on se rappelle et la nature de
l'interrogation et le caractère de ceux qui interrogeaient, on reconnaîtra
que, loin de rejeter le mariage, le Seigneur guérit ceux qui le questionnent
du grossier espoir qu'ils se plaisaient à nourrir jusqu'après la
résurrection. Ces mots : « Les enfants de ce siècle, » le Christ ne les a
pas prononcés pour les appliquer spécialement aux enfants de quelque autre
siècle ; c'est comme s'il avait dit : « Ceux qui sont nés dans ce siècle,
fils de la génération, engendrent et sont engendrés, puisque nul, sans la
génération ne peut franchir les limites de cette vie ; mais la faculté de se
reproduire, périssable comme l'homme, lui est refusée une fois que
l'existence lui a échappé. » Nous n'avons donc qu'un seul père qui est dans
les cieux ; mais qui, par la création, est lui-même le père de toutes
choses. « N'appelez sur la terre personne votre père, dit le Seigneur ; »
c'était nous dire : « N'imaginez pas que l'homme, par qui vous avez été
engendrés selon la chair, soit l'auteur de votre être ; il n'a été que
l'auxiliaire, ou plutôt le ministre de votre naissance. » Ainsi donc, il
veut que, convertis au Seigneur, nous redevenions comme des enfants qui
reconnaissent leur véritable père, régénérés qu'ils sont par l'eau du
baptême, autre création dans la création.
Mais l'apôtre dit : « Celui qui n'est point marié
s'occupe du soin des choses du Seigneur, celui qui est marié, au contraire,
s'occupe de plaire à sa femme. » — Quoi donc ? Celui qui plait, selon le
Seigneur, à sa femme, ne peut-il pas rendre grâces à Dieu ? Tout marié qu'il
est, ne peut-il pas vaquer en même temps au soin de la famille et aux œuvres
du Seigneur ? Or, de même qu'une « femme qui n'est point mariée s'occupe du
soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'esprit, »
ainsi celle qui a un époux s'occupe dans le Seigneur du soin des choses qui
regardent son époux, et du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte
de corps et d'esprit. Toutes les deux sont saintes dans le Seigneur, l'une
comme épouse, l'autre comme vierge.
L'apôtre, pour la honte et la répression de ceux qui
ont du penchant aux secondes noces, s'écrie d'une voix haute, mais juste : «
Tout péché est hors du corps ; mais celui qui commet la fornication pèche
contre son propre corps. » Soutenir encore que le mariage est une
fornication, je le répète, c'est blasphémer la loi et le Seigneur ; car, de
même qu'on nomme fornication la soif des richesses, parce qu'elle est
l'ennemie d'une sage modération ; de même que l'idolâtrie consiste à
partager l'unité divine en plusieurs dieux, ainsi la fornication passe d'un
seul mariage à plusieurs mariages. N'avons-nous pas déjà vu l'apôtre
distinguer trois sortes de fornication et d'adultère ? Le prophète y fait
allusion dans ces mots : « Vous avez été vendus à vos péchés ; » et encore :
« Vous vous êtes souillés sur une terre étrangère, » réputant criminelle
toute union de la chair avec une femme autre que celle qui est donnée à
l'homme par le mariage pour en avoir des enfants. De là aussi ce langage de
l'apôtre : « J'aime mieux que les jeunes filles se marient, qu'elles aient
des enfants, qu'elles soient mères de famille, et qu'elles ne fournissent à
nos ennemis aucune occasion de parler de nous ; car il y en a déjà
quelques-unes qui se sont égarées pour suivre Satan. » Il y a mieux.
L'apôtre accueille avec faveur quiconque ne s'est marié qu'une fois, prêtre,
diacre, laïque, usant du mariage d'une manière irréprochable : « Il se
sanctifiera par les enfants qu'il mettra au monde. »
Quand le Seigneur nomme les Juifs génération
mauvaise et adultère, il nous enseigne qu'au lieu de comprendre la loi
comme la loi veut être entendue, « ils suivaient la tradition des anciens et
les commandements des hommes, » se prostituant à une loi étrangère, et
infidèles à celle qui leur avait été donnée comme maitresse et gardienne de
leur virginité. Peut-être aussi le Seigneur les voit-il asservis aux désirs
étrangers par lesquels ils passaient de l'esclavage du péché à la captivité
chez les nations étrangères. La législation juive, en effet, loin d'admettre
la communauté des femmes, défendait l'adultère. Cette parabole qui dit : «
J'ai épousé une femme ; je ne puis aller au banquet divin, » est un exemple
bien fait pour condamner ceux que leurs plaisirs éloignent de l'observation
des commandements. Si la vérité était du côté de nos adversaires, ni les
justes qui précédèrent l'avènement du Seigneur, ni ceux qui se marièrent
depuis, ne seraient sauvés, fussent-ils apôtres. Que s'ils s'appuyaient
enfin sur cette parole du prophète ; « Je me suis consumé au milieu de mes
ennemis, » répondons-leur que ces ennemis sont les péchés. Oui, il y a un
péché, ce n'est pas le mariage, mais la fornication ; si je me trompe,
qu'ils continuent d'appeler péché la génération et l'auteur de la génération
!
CHAPITRE XIII.
Réponse à
Jules Cassien et à un passage que celui-ci avait puisé dans un évangile
apocryphe.
J'arrive à Jules Cassien, chef de la secte des
Docètes. Il s'exprime comme il suit dans son livre de la Continence
ou de la Chasteté : «Qu'on ne vienne pas me dire que l'homme, étant
conformé d'une certaine manière, et la femme d'une autre, pour engendrer, la
femme pour concevoir, les rapprochements de la chair sont permis par Dieu.
Si cette institution émanait vraiment du Dieu vers lequel nous avons hâte
d'arriver, eût-il dit : Heureux les eunuques ! Ces paroles seraient-elles
sorties de la bouche du prophète ? Les eunuques ne sont point un arbre sans
fruit, prenant ainsi métaphoriquement l'arbre pour l'homme que sa volonté a
fait eunuque de toute pensée charnelle ? Défenseur de sa doctrine impie,
Cassien ajoute : « Qui ne serait en droit de faire alors le procès au
Sauveur pour avoir transformé notre être, et nous avoir affranchis de
l'erreur et des sens par lesquels les deux sexes se rapprochent et
s'unissent ? » Ici Tatien, sorti de l'école de Valentin, s'accorde avec
Cassien. L'hérétique poursuit : « Salomé demande au Seigneur quand viendra
le temps où seront connus les mystères sur lesquels elle l'interroge. —
Lorsque vous aurez foulé aux pieds le vêtement de la pudeur, répond le
Christ, lorsque les deux ne feront qu'un, le mâle et la femelle, et qu'il
n'y aura plus ni mâle ni femelle. »
D'abord les quatre Évangiles qui nous ont été transmis
ne renferment pas ce passage : il ne se trouve que dans l'Évangile selon les
Égyptiens. Ensuite, Cassien me semble ignorer que les appétits du mâle
signifient la colère, et ceux de la femelle, le désir, qui, transformés en
actes, ont pour conséquence le repentir et la honte. Lorsque cessant de
flatter la colère et le désir, qui, fortifiés par l'habitude et une
éducation vicieuse, couvrent d'épaisses ténèbres la lumière de
l'intelligence, on dissipe, sous l'influence du repentir, ces vapeurs
grossières, et que l'on recueille son âme pour la concentrer en un point
unique, dans l'obéissance au Verbe ; c'est alors que suivant le langage de
Paul, il n'y a plus en nous ni homme ni femme. L'âme, se dégageant de
l'enveloppe charnelle par laquelle on distingue les sexes, passe à l'état
d'unité, et n'est plus ni mâle ni femelle. L'illustre Cassien se rapproche
trop ici du sentiment de Platon, lorsqu'il affirme que l'âme, divine dans
son principe, mais efféminée par le désir, descend ici-bas pour la
génération et pour la mort.
CHAPITRE XIV.
Il
explique quelques passages de saint Paul.
Mais ne voilà-t-il pas que l'hérésiarque, par une
interprétation forcée, contraint l'apôtre d'attribuer malgré lui la
génération à la chute primitive dans le passage suivant. « Je crains que,
comme Ève fut séduite par le serpent, vos esprits, de même, ne se corrompent
et ne dégénèrent de la simplicité chrétienne. »
Il est plus vrai de dire, avec tous, que le Seigneur
est venu vers ce qui était égaré ; égaré, non pas de la demeure céleste
pour tomber dans l'œuvre terrestre de la génération ; la génération est
elle-même une institution du Tout-Puissant, qui n'eût jamais précipité l'âme
d'un état de félicité pour la plonger dans une situation inférieure ; c'est
pour sauver ceux qui s'égaraient dans leurs pensées ; c'est vers nous que le
Seigneur est descendu. Nos pensées avaient été corrompues par la violation
des commandements, avides que nous étions de voluptés, et fils d'un père
prévaricateur, qui, devançant le temps marqué, avait convoité prématurément
les douceurs du mariage. En effet, « quiconque aura regardé une femme pour
la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cœur, » pour n'avoir pas
attendu le temps marqué par la volonté divine. C'était donc le même Seigneur
qui alors condamnait aussi les désirs prématurés. L'apôtre, en nous disant :
« Revêtez-vous de l'homme nouveau, qui est créé à la ressemblance de Dieu, »
s'adresse à nous, que la volonté du Tout-Puissant a faits tels que nous
avons été faits. Toutefois, par le mot de
vieil homme, Paul n'entend ni la
génération, ni la régénération ; il parle de la vie de désobéissance et de
la vie de révolte. Cassien veut que les tuniques de peau soient le
corps. Sur ce point, il s'est trompé, lui et ceux qui ont embrassé la même
opinion. Nous le prouverons plus tard, lorsque, amené par une discussion
qu'il faut placer auparavant, nous aborderons la naissance de l'homme. «
Car, dit-il, ceux qui sont assujettis aux choses de la terre, engendrent et
sont engendrés ; mais nous, nous vivons déjà dans le ciel ; c'est de là
aussi que nous attendons le Sauveur. » Paroles pleines de sens, nous le
savons aussi, et où nos devoirs sont tracés !
Étrangers et voyageurs ici-bas, il nous faut vivre comme
des étrangers et des voyageurs ; dans le mariage, comme n'étant pas mariés ;
possédant, comme ne possédant pas ; engendrant des enfants, comme engendrant
des êtres destinés à mourir ; disposés à abandonner tout ce qui est à nous ;
prêts à vivre sans femme, s'il est besoin ; n'apportant que des désirs
modérés dans l'usage des créatures ; n'en usant qu'avec actions de grâces,
les yeux de l'âme toujours fixés sur nos hautes destinées.
CHAPITRE XV.
Il
explique plusieurs autres passages des saintes Écritures.
Lorsque l'apôtre dit encore : « Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme ; mais, pour éviter la fornication, que chaque homme vive avec sa femme,» il ajoute, comme pour expliquer ses paroles : « De peur que Satan ne vous tente.» Est-ce à ceux qui usent avec tempérance du mariage, et dans l'unique but de la génération, qu'il adresse ces mots : «À cause de votre incontinence ? » Non sans doute ; il les dit pour ceux qui veulent s'affranchir des œuvres de la génération elle-même. Il craint que le démon en les encourageant par son assentiment perfide, ne soulève en eux les flots de la concupiscence, pour les précipiter dans des voluptés étrangères. Peut-être aussi que jaloux et opiniâtre antagoniste de ceux qui pratiquent la justice, l'adversaire essaie de les attirer dans ses rangs par ce piège, et leur fournit une occasion de chute dans une continence pleine de labeurs. L'apôtre a donc raison de dire : « Il vaut mieux se marier que de brûler,» afin que le mari rendant à sa femme ce qu'il lui doit et la femme ce qu'elle doit à son mari, ils ne se frustrent ni l'un ni l'autre de ce divin secours donné pour la reproduction de l'homme.
— Mais le Seigneur a dit : « Quiconque ne hait point
son père et sa mère, ou sa femme et ses enfants, ne peut être mon disciple.»
Le Seigneur n'ordonne point par là de haïr sa propre
famille. N'est-ce point lui qui a prononcé cet oracle ? « Honore ton père et
ta mère, afin que tout prospère pour toi.» Il veut nous dire seulement : ne
vous laissez point entraîner à des désirs contraires à la raison, et fuyez
tout contact avec les mœurs étrangères ; car la famille se maintient par la
race et la cité par la famille. C'est ainsi que Paul dit également, « que
ceux qui s'occupent des choses du mariage plaisent au monde.» Il dit
ailleurs : « Si vous êtes marié, ne repoussez point votre épouse ; si vous
ne l'êtes pas, ne vous mariez pas.» C'est-à-dire, vous qui, dans un but de
chasteté, avez fait vœu de ne point vous marier, persévérez dans le célibat.
Le Seigneur vous fait à l'un et à l'autre des promesses analogues, par la
bouche du prophète Isaïe : « Eunuque, ne t'écrie plus : je ne suis qu'un
bois aride ; car le Seigneur dit aux eunuques : si vous gardez le sabbat que
j'ai établi, si vous accomplissez tout ce que j'ai commandé, je vous
donnerai une place d'un plus grand prix que des fils et des filles.»
Qu'importe, en effet, la chasteté ? Qu'importe le sabbat de
l'eunuque ? Il faut encore pour sa justification qu'il observe les
commandements.
« Les élus ne travailleront pas en vain ; les femmes
n'enfanteront plus dans la malédiction, parce que leur postérité a été bénie
par le Seigneur. » C'est qu'à l'homme qui, animé de l'esprit du Verbe, a
procrée, instruit, élevé des enfants dans le Seigneur, comme aussi à celui
qui a engendré spirituellement, par la parole et l'enseignement véritable,
une récompense est promise, comme à une race de bénédiction et d'élection.
Selon quelques-uns, le mot malédiction est ici
le synonyme de procréation des enfants. Insensés qui ne comprennent pas que
c'est à eux-mêmes que l'Écriture applique cet anathème ! En effet, les vrais
élus du Seigneur n'engendrent ni dogmes, ni enfants de malédiction, à la
manière de l'hérésie. Le mot eunuque,
dans la bouche du Seigneur, ne signifie donc pas celui que le fer a mutilé
par la violence, ni même celui qui persévère dans le célibat, mais l'esprit
stérile qui ne peut enfanter la vérité. Tout à l'heure ce n'était qu'un
bois aride ; voilà qu'il a prêté l'oreille au Verbe, qu'il a gardé le
sabbat, en renonçant au péché ; qu'il a été fidèle aux commandements :
il sera plus élevé en dignité que ceux qui se sont bornés à recevoir
l'enseignement de la parole, sans y joindre la régularité de la vie.
« Mes petits enfants, dit le maître, encore un peu de
temps je suis avec vous. » Voilà pourquoi Paul, dans l'épître aux Galates,
dit à son tour : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les
douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. »
Puis, dans l'épître aux Corinthiens : « Quand vous auriez dix mille maîtres
en Jésus-Christ, vous n'avez pas néanmoins plusieurs pères, puisque c'est
moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l'Évangile. » Aussi l'eunuque
n'entrera-t-il point dans l'assemblée du Seigneur, c'est-à-dire, celui dont
la conduite et les discours ne portent point de fruits. « Mais ceux qui se
sont faits eunuques eux-mêmes » de tout péché, à cause du royaume de
Dieu, ceux-là sont les heureux qui jeûnent de toutes les choses de la
terre.
CHAPITRE XVI.
Il
explique divers autres passages des saints livres.
« Maudit soit le jour où je suis né, et qu'il ne soit
pas béni ! » s'écrie Jérémie. Le prophète ne charge pas ici d'imprécations
la naissance ; dans l'indignation qui l'entraîne, il ne peut supporter le
spectacle des prévarications et de la révolte d'Israël. Aussi ajoute-t-il :
« Pourquoi ai-je été enfanté pour voir le travail et la douleur, et pour
consumer mes jours dans l'opprobre ? » À cette époque, tous ceux qui
prêchaient la vérité, poursuivis par l'indocilité des auditeurs, étaient
livrés sur le champ à la colère publique. « Pourquoi, s'écrie le prophète
Esdras, les flancs de ma mère ne sont-ils pas devenus mon sépulcre, afin que
je ne visse pas l'affliction de Jacob et le travail de la race d'Israël ? »
« Nul n'est sorti pur d'une source impure, dit Job, sa vie ne durât-elle
qu'un jour.» Mais qu'on nous dise où l'enfant qui vient de naître aurait pu
pécher, et, comment, sans avoir rien fait, il a pu tomber sous la
malédiction d'Adam. Conséquemment, il ne reste plus, ce semble, à nos
adversaires, d'autre parti que de déclarer mauvaise non-seulement la
naissance du corps, mais aussi la naissance de l'âme, pour laquelle le corps
existe. Quand David s'écrie : « J'ai été conçu dans le péché, et ma mère m'a
enfanté dans l'iniquité, » le prophète appelle Ève du nom de mère. Ève, en
effet, fut la mère des vivants ; et si lui-même fut conçu dans le péché, il
n'est donc pas pécheur par lui-même au moment de sa naissance, il n'est donc
pas lui-même le péché. Mais que tout homme, en passant du péché à la foi, se
détache des liens du péché comme l'enfant brise le sein maternel pour
arriver à la vie, je ne veux en témoignage de cette vérité, que ces mots de
l'un des douze prophètes : « Donnerai-je pour mon impiété mon premier fils,
s'écrie-t-il, et pour le péché de mon âme le fruit de mes entrailles ? »
Loin d'accuser celui qui a dit : « Croissez, et multipliez-vous, » il
flétrit du nom d'impiété, les premières impulsions qui suivent notre
naissance charnelle, et sous l'empire desquelles nous ne connaissons pas
Dieu. Si la génération est mauvaise, envisagée de ce côté, elle est bonne,
en tant que par elle nous connaissons la vérité en Dieu. « Tenez-vous dans
la vigilance de la justice et gardez-vous de tout péché ; car il y en a
quelques-uns parmi vous qui ne connaissent point Dieu. » Ce sont les
pécheurs. « Nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de
sang, mais contre les esprits. » Or, les princes des ténèbres ont le pouvoir
de nous tenter ; c'est pour cela que le pardon nous est offert. Voilà
pourquoi Paul dit aussi : « Je châtie rudement mon corps et le réduis en
servitude. » Voyez, en effet, l'athlète ! Il pratique une sévère continence,
non pas une abstinence générale, mais une modération qui n'use qu'avec
réserve de ce qu'elle croit devoir se permettre ; et cependant à quoi
aspire-t-il ? à une couronne corruptible, tandis que nous combattons,
nous, pour une couronne incorruptible, vainqueurs dans la lutte, mais
vainqueurs couverts de sueur et de poussière. Dans cette lutte généreuse, il
en est qui donnent à la veuve la palme de la continence préférablement à la
vierge : la veuve s'est élevée avec le dédain d'une grande âme au-dessus des
voluptés qu'elle a connues.
CHAPITRE XVII.
Soutenir
que le mariage et la génération sont chose mauvaise, c'est attaquer l'œuvre
de Dieu et le don même de l'Évangile.
La génération est un mal, dites-vous ? — Soutenez donc
alors que le Seigneur a passé par la souillure du mal, puisqu'il est né par
la voie de la génération ; que la Vierge a passé par la souillure du mal,
puisqu'elle a enfanté. Hélas ! quel déluge de maux ! En s'attaquant à la
génération, l'hérésie se soulève contre la volonté du Dieu, et blasphème le
mystère de la création. De là, un Cassien, soutenant que nos corps sont de
vaines apparences ; de là, un Marcion, un Valentin, affirmant qu'il n'y a
dans l'homme rien que d'animal, parce que, selon eux, en touchant à l'œuvre
de la chair, il s'assimile aux animaux. Assurément, lorsque précipité
en aveugle par la passion, il se rue sur des voluptés étrangères, il descend
véritablement au niveau de la brute. « Ils sont devenus, dit l’Écriture,
comme des chevaux enflammés qui courent et hennissent après les cavales :
chacun a poursuivi la femme de « son prochain. »
Avancer que le serpent, empruntant aux animaux privés
de raison ses machinations contre l'homme, réussit à persuader Adam de
s'unir à Ève par les liens de la chair, sans quoi nos premiers parents
n'auraient jamais connu ces fonctions naturelles, ainsi que le veulent
plusieurs ; c'est encore attacher le blâme à la création, et lui adresser le
reproche d'avoir fait l'homme plus faible que la brute, dont le roi de
l'univers aurait suivi les grossiers exemples. Toutefois, je vous l'accorde,
la nature a poussé nos premiers parents à l'œuvre de la génération ; séduits
par les suggestions de l'ennemi, entraînés par la fougue de la jeunesse, ils
ont obéi, plutôt qu'il ne convenait, aux instincts de la chair.
Qu'arrivera-t-il ? La condamnation que Dieu prononça contre eux est donc
juste, puisqu'ils devancèrent ses ordres. En second lieu, la génération est
donc sainte, puisque par elle le monde existe ; par elle les essences, par
elle les nations, par elle les anges, par elle les puissances, par elle les
âmes, par elle les préceptes, par elle la loi, par elle l'Évangile, par
elle, enfin, la connaissance de Dieu. « Toute chair est comme l'herbe, et sa
beauté ressemble à la fleur des champs. L'herbe sèche, la fleur tombe ; mais
la parole de Dieu reste ; » la parole qui s'est répandue sur l'âme, à la
manière d'une huile sainte, et qui l'a unie étroitement à l'esprit. Sans le
corps, comment la divine économie de l'Église eût-elle été conduite à sa
fin, puisque le Seigneur lui-même, chef de l'Église, vécut ici-bas dans la
prison de la chair, obscur et sans gloire devant les hommes, pour nous
apprendre à ne tourner les yeux que vers l'essence incorporelle et invisible
de la cause première, qui est Dieu. « Dans le bon désir, dit le prophète,
est un arbre de vie ; » pour nous apprendre que les désirs honnêtes et purs
sont dans le Dieu vivant. À cette occasion, les hérétiques ne veulent-ils
pas encore que le commerce légitime de l'époux et de l'épouse soit un péché
! Selon eux, ce commerce désigné par l'action de manger du fruit de
l'arbre du bien et du mal, est exprimé par ce mot, il connut, qui
indique la transgression du commandement divin. Mais si cette explication
est plausible, la connaissance de la vérité est aussi l'action de manger du
fruit de l'arbre de vie. Un mariage que règlent la tempérance et la chasteté
peut donc participer à ce bois. Mais déjà la loi nous a dit que l'homme a la
faculté d'user bien ou mal du mariage. Voilà l'arbre de la connaissance
pour lui ; c'est de ne point violer les lois de l'union conjugale. Mais quoi
! notre Sauveur lui-même n'a-t-il pas guéri les maladies du corps comme les
maladies de l'âme ? Si le corps était l'ennemi nécessaire de l'âme, eût-il
fortifié la chair contre l'âme en rendant à la première sa vigueur et sa
santé ? « Je veux dire, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent
posséder le royaume de Dieu, et que la corruption ne possédera point cet
héritage incorruptible. » En effet, entre le péché, œuvre de corruption, et
l'héritage incorruptible, c'est-à-dire la justice, que peut-il y avoir de
commun ? « Êtes-vous si dépourvus de sens, dit l'apôtre, qu'après avoir
commencé par l'esprit, vous prétendiez maintenant arriver à la perfection
par la chair ? »
CHAPITRE XVIII.
Deux
opinions extrêmes à fuir également : l'opinion de ceux qui s'abstiennent du
mariage par haine du Créateur, et l'opinion de ceux qui prennent occasion du
mariage pour se livrer aux dissolutions.
Parmi les hérétiques, les uns, ainsi que nous l'avons
prouvé, ont exagéré les œuvres de la justice et du salut, comme un
instrument que l'on monte à un ton trop élevé. Ils ont admis la continence,
mais en partant d'un principe blasphématoire et impie, lorsqu'il fallait
choisir pieusement la chasteté qui se gouverne d'après les règles d'une
saine raison, remerciant Dieu de la faveur qu'il leur avait accordée, se
gardant bien de haïr la créature, ni de mépriser ceux qui sont engagés dans
le mariage. En effet, le monde a été créé, la virginité a été créée ; au
monde et à la virginité, par conséquent, de rendre grâces à Dieu dans l'état
où chacun a été placé, pourvu que chacun en connaisse bien les règles et les
charges. Les autres, au contraire, lâchant la bride à la passion, se sont
jetés dans tous les excès ; « chevaux enflammés, courant et hennissant après
les cavales, chacun d'eux a poursuivi la femme de son prochain ; »
incapables de se commander à eux-mêmes, engageant les autres à n'avoir souci
que de la volupté, et interprétant d'une manière déplorable ce texte sacré :
« Mets ton héritage au milieu de nous ; n'ayons qu'une ceinture et qu'une
bourse.» C'est pour nous prémunir contre eux que le même prophète nous dit :
« Ne marchez pas avec eux ; détournez vos pas de leurs sentiers. On ne tend
pas impunément des pièges à l'innocence ; car les complices du meurtre
amassent sur leurs propres têtes un trésor de maux ;» c'est-à-dire, ceux qui
aspirent à la débauche, qui convient le prochain aux mêmes infamies ; «
toujours prêts à la guerre, et frappant avec leurs queues, selon le langage
du prophète. » À qui la bouche inspirée fait-elle allusion dans ce passage ?
aux hommes de luxure et d'intempérance, pareils aux animaux lascifs qui
battent l'air de leurs queues, enfants de ténèbres et de
colère, couverts de sang, meurtriers d'eux-mêmes et homicides de leurs
proches. « Purifiez-vous donc du vieux levain, afin que vous soyez une pâte
toute nouvelle, » nous crie l'apôtre. Ailleurs, s'élevant contre des
pécheurs semblables, il nous prescrit « de n'avoir aucun commerce avec notre
frère, s'il est ou impudique, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou adonné
au vin, ou ravisseur du bien d'autrui, et de ne pas manger avec un pareil
homme. Car, dit-il, je suis mort à la loi par la loi même, afin de ne vivre
plus que pour Dieu. Je suis crucifié avec Jésus-Christ ; et je vis, ou
plutôt, ce n'est plus moi qui vis, comme je vivais quand j'étais
l'esclave des voluptés, c'est Jésus-Christ qui vit en moi, d'une vie
chaste et bienheureuse, par l'obéissance aux commandements. Ainsi, je vivais
alors charnellement dans la chair, et si je vis maintenant dans ce corps
mortel, je vis en la foi du fils de Dieu. N'allez point dans la voie des
Gentils, et n'entrez point dans les villes des Samaritains, » nous dit le
Seigneur, pour nous détourner des errements qu'ils suivent, en contradiction
avec les préceptes, « parce que la fin des méchants est mauvaise, et que
telles sont « les voies de tous ceux qui font le mal. Malheur à cet homme !
s'écrie le Seigneur. Il vaudrait mieux pour lui n'être jamais né, que de
scandaliser un seul de mes élus. Il vaudrait mieux qu'on attachât à son cou
une meule de moulin, et qu'on le jetât dans la mer, que de pervertir un seul
de mes élus ; car ils sont cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les
nations.» C'est de là que l'illustre apôtre dit : « Je vous ai écrit dans
une de mes épitres que vous n'eussiez point de commerce avec les impudiques,
etc.,» jusqu'à ces mots : « mais le corps n'est point la fornication ; il
est pour le Seigneur et le Seigneur pour le corps. » Puis, pour nous
convaincre encore mieux qu'il n'appelle point le mariage une fornication, il
ajoute : « Ne savez-vous point que celui qui se joint à une prostituée,
devient un même corps avec elle ?» Je le demande, appelle-t-on prostituée
une vierge avant qu'elle soit mariée ? « Ne vous refusez point l'un à
l'autre, si ce n'est du consentement mutuel de l'un et de l'autre pour un
temps.» Par le mot refusez, l'apôtre montre que la dette du mariage
est la procréation des enfants, et il l'exprime d'ailleurs textuellement
dans un verset qui précède : « Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui
doit, et la femme ce qu'elle doit à son mari. » Une fois la dette conjugale
acquittée, la femme est une aide pour surveiller l'intérieur de la famille
et entretenir son mari dans la foi du Seigneur. Mais voilà qui est plus
clair encore : « Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n'est pas moi, mais
le Seigneur qui leur a fait ce commandement : que la femme ne se sépare
point de son mari ; si elle s'en sépare, qu'elle reste sans se marier, ou
qu'elle se réconcilie avec son mari ; que le mari de même ne quitte point sa
femme ; quant aux autres, ce n'est pas le Seigneur, mais c'est moi qui leur
dis : si quelqu'un de mes frères,...» jusqu'à ces mots : « au lieu que
maintenant ils sont saints.»
Que répondent à ces paroles ceux qui décrient la loi et
le mariage, comme si la loi seule eût autorisé l'union conjugale, et que
l'alliance nouvelle se fût mise là-dessus en contradiction avec la loi ?
Qu'ils réfutent donc de semblables autorités, les impies qui ont en horreur
l'union de la chair et la génération ! L'évêque même qui a bien
gouverné sa propre famille, l'apôtre ne l'établit-il pas chef de
l'Église ; et la maison de celui qui ne s'est marié qu'une fois
ne devient-elle pas, selon lui, la maison du Seigneur ? Aussi poursuit-il en
ces termes : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ; et rien n'est pur pour
ceux qui sont impurs et infidèles. Mais leur raison et leur conscience sont
pleines de souillures. » Écoutez maintenant comme il condamne les voluptés
déréglées : « Ne vous y trompez pas ! ni les fornicateurs, ni les idolâtres,
ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni
les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien
d'autrui, ne seront héritiers du royaume de Dieu. » Mais nous avons été
purifiés, nous qui vivions autrefois dans les mêmes impuretés.
Quant à ceux qui croient se justifier par les désordres
de la vie, ils détruisent la tempérance pour baptiser dans la fornication ;
misérables ! dont la doctrine est de tout accorder aux désirs et aux
voluptés, apprenant à l'homme à déserter la continence pour l'incontinence,
concentrant leurs affections et leur espoir dans les parties honteuses
d'eux-mêmes». Mais ils ne préparent à leurs disciples d'autre fin que d'être
déshérités du royaume de Dieu, au lieu de voir leur nom inscrit dans le
ciel. Vainement ils couvrent leur doctrine du titre usurpé de
Connaissance ; ils marchent par les larges voies qui conduisent aux
ténèbres extérieures. « Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai, tout ce qui
est honnête, tout ce qui est saint, tout ce qui est aimable, tout ce qui a
une bonne réputation, tout ce qui est vertueux, tout ce qui est louable dans
les mœurs, que ce soit là ce qui occupe vos pensées. Mettez en pratique ce
que je vous ai enseigné, ce que vous avez entendu dire de moi, et ce que
vous avez vu en moi, et le Dieu de paix sera avec vous. » Pierre dit
également dans sa première épitre : « Afin que votre foi et votre espérance
reposent en Dieu, purifiez vos âmes par une sincère obéissance, évitant,
comme des enfants dociles, de devenir semblables à ce que vous étiez
autrefois, lorsque, dans votre ignorance, vous vous abandonniez à vos
désirs. Mais soyez saints dans tout le cours de votre vie, comme celui qui
vous a appelés est saint, selon qu'il est écrit : Soyez saints parce que je
suis saint. »
Mais la réfutation par laquelle il fallait confondre
les imposteurs qui usurpent sans titre le nom de la connaissance (gnose),
en nous menant trop loin, a jeté notre discours au-delà de ses limites.
Terminons donc ici notre troisième livre des Stromates, consacré aux
recherches gnostiques d'après la véritable philosophie.
[1]
Quelques écrivains ecclésiastiques des
premiers siècles, et plusieurs Églises du
littoral africain, ou d'Alexandrie,
condamnaient ou du moins improuvaient les
secondes noces. Saint Clément, Tertullien et
Origène, expriment plusieurs fois cette
opinion. L'Église n'a pas sanctionné ce
rigorisme, et bénit tous les mariages
auxquels on apporte l'esprit de foi et de
pureté qu'elle recommande.
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