Les Églises Chrétiennes de Dieu

[B3]

 

 

 

 

Clément d’Alexandrie :

Les Stromates - Livre 3 [B3]

(Édition -)

 

 

 

 

Le Livre 3 des Stromates de Clément d’Alexandrie n’a pas été traduit mais laissé en latin dans l’ouvrage Ante Nicene Fathers quand cela a été publié. Dans l’intérêt du public, cette traduction par M. de Genoude publiée dans Les Pères de l’Église, Volume 1, Tome 5 (1839) est reproduite.

 

 

 

Christian Churches of God

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Clément d’Alexandrie : Les Stromates – Livre 3 [B3]

 

 

LIVRE TROISIÈME

 

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CHAPITRE PREMIER

 

 

L'auteur réfute l'opinion des Basilidiens sur la continence et sur le mariage.

 

Les Valentiniens qui font descendre originairement des divins embrassements les alliances conjugales, approuvent le mariage. Quant aux Basilidiens, ils disent que les apôtres ayant interrogé le Seigneur pour savoir s'il ne valait pas mieux se marier, le Seigneur leur répondit : « Tous n'entendent pas cette parole ; car il y a des eunuques de naissance et des eunuques de nécessité. » Or, les Basilidiens interprètent ainsi cette réponse : Il est des hommes qui, de naissance, ont pour la femme une aversion naturelle. Ceux-là font bien d'obéir à leur tempérament, et de ne point se marier. Ils sont eunuques de naissance. Les eunuques de nécessité sont tous ces hommes qui s'exercent sur les théâtres, et que le soin de leur gloire oblige à garder la continence. Ceux qu'un accident quelconque a mutilés sont eunuques par nécessité. Ceux donc qui deviennent eunuques par nécessité, ne le deviennent point conformément à la sagesse divine, mais bien ceux qui se font eux-mêmes eunuques pour le royaume éternel. Ils prennent, disent-ils, ce parti pour éviter les soucis ordinaires du mariage, et dans la crainte des soins attachés à l'entretien d'une famille. Et ce qu'a dit saint Paul : « Il vaut mieux se marier que de brûler ? » L'apôtre, répondent-ils, a voulu dire : Si vous ne vous mariiez pas, vous risqueriez de jeter votre âme dans le feu en résistant nuit et jour et en craignant de perdre la continence ; car une âme qui est tout occupée à résister, se sépare de l'espérance. « Prenez donc, dit en propres termes Isidore dans ses Morales, une femme d'une forte constitution, de peur que vous ne vous sépariez de la grâce de Dieu ; puis, après avoir éteint votre feu en satisfaisant à votre passion, vous pourrez prier avec plus de liberté. Et lorsque votre action de grâces, poursuit-il, se sera transformée en demande, et que désormais vous aurez résolu, non pas de bien faire, mais de ne pas succomber, mariez-vous. Mais voici un jeune homme, il est pauvre et porté aux plaisirs de la chair, et conformément à la sagesse, il ne veut pas se marier. Qu'il prenne bien garde de ne pas se séparer d'un frère ; qu'il dise : je suis entré dans la voie sainte ; rien de mal ne saurait m'arriver. A-t-il quelque crainte ? qu'il dise : frère, impose-moi la main, afin que je ne pèche point ; et il recevra du secours et dans son âme et dans son corps. Qu'il veuille seulement accomplir ce qui est bien et il y réussira. Mais souvent nous disons de bouche : je ne veux pas pécher, et notre cœur persévère dans les liens du péché. C'est la crainte et l'appréhension d'un supplice qui empêchent un homme animé de ces sentiments d'exécuter ce qu'il projette. La nature humaine a des besoins nécessaires et des besoins seulement naturels. Les vêtements sont à la fois nécessaires et naturels. Les plaisirs charnels sont naturels, mais non pas nécessaires. » J'ai cité ces paroles pour rappeler au devoir ceux des Basilidiens qui se conduisent mal, et qui se font de la perfection un prétexte pour commettre le péché ; ou qui tout au moins se flattent d'être infailliblement sauvés, quand même ils pécheraient ici-bas, parce qu'ils ont été élus, disent-ils, dès le sein de leur mère. Ils verront par là que tel n'était pas le sentiment des premiers auteurs de leur doctrine. De grâce donc, qu'ils ne fassent plus blasphémer le nom du Christ en se donnant pour Chrétiens et en menant une vie plus licencieuse que les plus intempérants des gentils ; c'est de tels hommes qu'il a été dit : faux apôtres, ouvriers trompeurs, et le reste jusqu'à ces mots : dont la fin sera selon leurs œuvres. La continence donc est le mépris du corps, conformément à la promesse qu'on en a faite à Dieu. Car la continence a pour objet la fuite, non-seulement des plaisirs de la chair, mais encore de tous ceux que l'âme, convoite d'une manière illicite, ne sachant pas se contenter du nécessaire. Ainsi la continence s'exerce sur la langue, dans les possessions, dans la jouissance, dans les désirs. La continence ne nous apprend pas seulement à être tempérants ; mais comme elle est une force et une grâce divine, elle nous donne la tempérance. Voici donc notre opinion sur la question qui nous occupe : Nous bénissons la continence et ceux auxquels Dieu l'a accordée. Nous vénérons l'unité de mariage, et tout ce qu'il y a de beau et d'honnête à ne s'être marié qu'une fois ; mais aussi nous disons qu'il faut être compatissant, et porter les fardeaux les uns des autres, de peur que celui qui croit être debout et ferme ne tombe aussi lui-même. Quant au mariage en secondes noces : « Si tu brûles, dit l'apôtre, marie-toi. »

 

 

CHAPITRE II.

 

Il réfute aussi la doctrine de Carpocrate et d'Épiphane sur la communauté des femmes.

 

Ceux qui professent les opinions de Carpocrate et d'Épiphane, prêchent la communauté des femmes ; de là, le plus horrible blasphème qu'ait jamais essuyé le nom du Christ. Cet Épiphane, dont les écrits sont encore dans beaucoup de mains, était le fils de Carpocrate et d'une femme nommée Alexandria. Originaire d'Alexandrie, par son père, et de Céphallénie par sa mère, il ne vécut que dix-sept ans, et fut honoré comme un dieu à Samé de Céphallénie. Là, on lui érigea un temple de pierres gigantesques, on lui consacra des autels, des bois, un musée ; et à chaque nouvelle lune, les Céphalléniens se rendent au temple, offrent des sacrifices à Épiphane pour honorer le jour de son apothéose, font des libations, célèbrent des festins et chantent des hymnes en son honneur. Son père lui fit parcourir le cercle entier des sciences, et l'instruisit dans la philosophie de Platon. C'est lui qui inventa la doctrine des monades ; c'est à lui que remonte l'hérésie des Carpocratiens. Il dit donc dans son livre De la justice : « La justice de Dieu est une certaine communauté ayant pour base l'égalité. Le ciel ne se déroule-t-il pas également de toutes parts, et n'enveloppe-t-il pas la terre entière dans une même circonférence ? La nuit ne fait-elle pas également briller toutes les étoiles ; et d'en haut, Dieu ne verse-t-il pas également les rayons du soleil, source du jour et père de la lumière, sur tous ceux qui peuvent voir ? et l'aspect de cet astre ne leur est-il pas commun à tous ? C'est que Dieu ne distingue pas le riche du pauvre ni du puissant, le fou du sage, la femme de l'homme, le maître de l'esclave. Il n'agit pas autrement, même envers les brutes ; mais en versant du haut du ciel sur tous les animaux, bons et mauvais, une égale portion de lumière, il affermit le règne de la justice, personne ne pouvant avoir plus qu'un antre, ni enlever à son prochain sa part de lumière, et doubler par ce surcroît la sienne propre. Le soleil fait naître des aliments communs pour tous les animaux. Une justice commune veille également aux intérêts de chacun, et à cet égard les bœufs sont comme les génisses, les porcs comme leurs femelles, les brebis comme les béliers, et ainsi des autres animaux. C'est à cette communauté de biens que se manifeste en eux la répartition de la justice. C'est encore en commun que l'on sème toutes les graines, chacune selon son espèce. Une nourriture égale et commune germe à la surface de la terre pour tous les animaux qui paissent sans aucune distinction ; mais par les soins du donateur qui lèvent ainsi, elle est également et justement répartie entre tous. À l'égard de la génération, ils n'ont aucune loi écrite ; eût-elle existé, elle serait anéantie ; car ils sèment et engendrent également avec la première venue, grâce à la communauté que la nature, fille de la justice, a établie parmi eux ; communauté à laquelle ils participent tous également. Le créateur et le père de toutes choses leur a également donné à tous, par une loi de sa justice, un œil pour voir, sans distinguer le mâle de la femelle ; ni l'homme de la brute, en un mot, sans établir aucune différence ; en leur partageant également et en commun le don de la vue, il les en a tous gratifiés à la fois et par une seule et même loi. Mais les lois, n'ayant pu corriger l'ignorance des hommes, leur ont appris à enfreindre les lois. Car les lois particulières ont dissous et anéanti la communauté consacrée par la loi divine, ajoute Épiphane, sans comprendre cette parole de l'apôtre : « C'est par la loi que j'ai connu le péché. » Le mien et le tien, poursuit-il, se sont introduits furtivement chez les hommes par le canal des lois. Les hommes n'ont plus joui eu commun, ni de la terre, ni des biens acquis, ni même du mariage, comme ils avaient le droit d'en jouir. Car Dieu a fait la vigne pour les besoins de tous ; elle ne refuse ses fruits ni au passereau ni au voleur. Il en est ainsi du blé et des autres fruits. C'est la violation de la communauté et de l'égalité qui a suscité le voleur de bestiaux et le voleur de fruits. Dieu donc, en créant tout pour l'usage de tous, en rapprochant les deux sexes pour des unions communes, et en unissant de la même sorte tous les êtres vivants, a proclamé pour souveraine justice la communauté et l'égalité. Mais ceux qui sont nés ainsi, ont renié celle qui leur donna le jour, la communauté des hommes et des femmes. Si donc, dit-il, quelqu'un en épouse une, qu'il la garde ; puisque tous peuvent s'unir à toutes, comme le prouvent les autres animaux. Ce sont ses paroles formelles ; puis il ajoute en propres termes : « Pour assurer la perpétuité des races, Dieu a fait naître dans l'homme un désir plus violent et plus vif que chez la femme. Ce désir, aucune loi, aucune coutume, rien ne peut l'étouffer ; c'est une loi de Dieu. » Mais comment nous arrêter davantage à l'examen d'une doctrine ouvertement subversive de la loi de Moïse et de l'Évangile ? La loi dit : « Tu ne seras point adultère. » Et l'Évangile : « Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère. » Ces paroles de la loi : « Tu ne désireras pas, » révèlent que c'est un même Dieu que proclament la loi, les prophètes et l'Évangile ; car il est écrit : « Tu ne désireras point la femme de ton prochain. » Or, le prochain du juif n'est pas le juif ; il est son frère et il a reçu le même esprit. Il faut donc entendre par prochain tout homme d'une autre nation. Comment, en effet, ne serait-il pas notre prochain, celui qui peut participer au même esprit. Abraham n'est pas seulement le père des Hébreux, il l'est encore des Gentils. Mais, si la loi punit de mort la femme adultère et son complice, il est évident que le commandement ainsi conçu : « Tu ne désireras point la femme de ton prochain, » concerne les Gentils ; afin que celui qui, selon la loi, se sera abstenu et de sa sœur et de la femme de son prochain, entende publiquement ces paroles du Seigneur : « Et moi je dis : Tu ne désireras pas. » L'addition de ce pronom moi, montre que le commandement est encore plus formel. Mais ce qui prouve que Carpocrate et Épiphane sont en guerre avec Dieu, c'est le passage suivant, que l'on trouve dans le célèbre ouvrage ayant pour titre De la justice. « En conséquence, y est-il dit en propres termes, il faut regarder comme ridicule cette parole sortie de la bouche du législateur : Tu ne désireras pas, jusqu'à cette autre plus ridicule encore : le bien de ton prochain. En effet, c'est lui qui nous a donné le désir, comme contenant le principe de la génération, et maintenant il nous ordonne de le réprimer, lorsqu'il en est autrement chez tous les animaux. Et ces mots : la femme de ton prochain, par lesquels il soumet la communauté à la propriété particulière, ne sont-ils pas encore plus ridicules ? » Voilà donc les admirables dogmes des Carpocratiens ! On dit que ces malheureux et plusieurs autres partisans des mêmes perversités, après s'être réunis hommes et femmes pour un repas, (car je n'appellerai pas agape leur assemblée), après s'être gorgés de mets qui excitent aux plaisirs de la chair, et avoir renversé les flambeaux dont leur justice, je me trompe, dont leur prostitution, ne peut supporter la lumière, s'accouplent pêle-mêle comme ils veulent et avec qui ils veulent. On dit aussi qu'après avoir essayé, dans cette agape, de la communauté, ils ne manquent pas, les jours suivants, de sommer les femmes qu'ils convoitent d'obéir à la loi, je ne dis pas du divin Carpocrate, Dieu m'en préserve, mais de Carpocrate. Carpocrate aurait dû, selon moi, offrir de pareilles lois à la lubricité des chiens, des porcs et des boucs. Au reste, il me semble avoir mal compris Platon quand il dit dans sa République : « Toutes les femmes doivent être communes. » Communes en ce sens, qu'avant d'être mariées, elles pourront être demandées en mariage par quiconque le désirera. C'est ainsi que le théâtre est commun à tous les spectateurs. Mais, du reste, il voulait qu'une fois mariées, elles appartinssent à leur premier époux et ne fussent plus communes. Xanthus, dans son ouvrage intitulé Des mages, rapporte que les mages partagent la couche de leurs mères et de leurs filles ; qu'il leur est permis de s'approcher de leurs sœurs, et que les femmes sont communes entre eux, non par force ni par ruse, mais par un mutuel consentement, lorsque l'un veut épouser la femme de l'autre. Jude me semble, dans son épitre, avoir dit prophétiquement de ces hérétiques et de ceux qui tombent dans les mêmes erreurs : « Ceux-là aussi rêvent ; car s'ils étaient éveillés, ils n'oseraient jamais combattre ainsi la vérité ; » et le reste, jusqu'à ces mots : « Et leur bouche profère des paroles qui respirent l'orgueil. »

 

 

CHAPITRE III.

 

Platon et quelques anciens philosophes ont devancé les Marcionites et d'autres hérétiques qui s'abstiennent du mariage parce qu'ils pensent que la créature est mauvaise et que les hommes naissent pour la douleur.

 

Platon, il est vrai, (et les Pythagoriciens, et plus tard encore les Marcionites, ont été du même sentiment) ; Platon, dis-je, a pensé que la génération était chose mauvaise ; mais il était loin de supposer que les femmes dussent être communes. Les Marcionites sont allés plus loin. Ils disent que la nature est mauvaise, et d'une mauvaise matière, quoique sortie des mains d'un Créateur juste. C'est pourquoi ils refusent de peupler le monde, œuvre du Créateur, et veulent que l'on s'abstienne du mariage, faisant profession ouverte de résister à leur Créateur et de tendre vers l'être bon qui les a appelés, et non vers celui qui est Dieu, disent-ils, d'une autre manière. Et par suite de cette résistance, pour ne rien omettre sur ce point de tout ce qui est en leur pouvoir, ils embrassent la continence, non par estime pour elle, mais par haine pour le Créateur, et pour ne point user de ce qui a été créé par lui. Toutefois, ces mêmes hommes, auxquels leur guerre impie contre Dieu a fait perdre tous les sentiments naturels, ces mêmes hommes qui méprisent la patience et la bouté de Dieu, quoiqu'ils refusent de se marier, usent cependant des aliments créés et respirent l'air du Créateur ; eux-mêmes ils sont l'ouvrage de ses mains et demeurent parmi ses œuvres. Ils annoncent, disent-ils, une doctrine nouvelle : soit, mais au moins qu'ils remercient donc le Seigneur d'avoir créé le monde, puisque c'est dans le monde du Créateur qu'ils ont reçu le nouvel Évangile. Nous les réfuterons pleinement lorsque nous arriverons à la question des principes.

 

Quant aux philosophes dont nous avons fait mention, et dans la doctrine desquels les Marcionites ont puisé le dogme impie, que la génération est criminelle, mais dont ils se glorifient néanmoins comme s'il émanait d'eux, ils ne veulent pas que la génération soit criminelle de sa nature, mais qu'elle ait été rendue telle par l'âme qui a trahi la vérité. Car notre âme, à laquelle ils reconnaissent une essence divine, ils la font descendre ici-bas comme dans un lieu de supplice ; et selon eux, les âmes sont unies à des corps afin de se purifier. Ainsi ce dogme est celui, non plus des Marcionites, mais de ceux qui pensent que les âmes sont envoyées dans les corps, qu'elles y sont enchaînées, et qu'elles sont, pour ainsi dire, transvasées d'un corps dans un autre. Nous les réfuterons plus tard, lorsque nous traiterons de l'âme. Héraclite donc parait maudire la génération dans le passage suivant : « Ceux qui sont nés veulent vivre et engendrer pour la mort, ou plutôt ils veulent se livrer au repos du sommeil, et ils laissent des enfants qui mourront après eux. » Il est évident qu'Empédocle est du même avis :

« J'ai pleuré, s'écrie-t-il, et je me suis lamenté en voyant pour la première fois un monde auquel je n'étais point « accoutumé. »

Il dit encore :

« L'être, la nature nous fait passer par la mort en changeant notre forme. »

Et ailleurs :

« Grands dieux ! qu'elle est malheureuse la race des mortels ! Oh ? qu'elle est misérable ! À quelles discordes et à quels gémissements, pauvres humains, êtes-vous réservés ! »

La sibylle dit aussi :

« Hommes sujets à la mort, hommes de chair et qui n'êtes rien. »

C'est aussi l'opinion du poète qui écrit :

« La terre ne nourrit rien de plus misérable que l'homme. »

Théognis également montre que la génération est un mal, lorsqu'il dit :

« De tous les biens, le plus grand pour les mortels est de ne pas naitre et de ne pas voir l'éclatante lumière du soleil ; pour celui qui est né, c'est de franchir au plutôt les portes de la mort, et de se reposer dans la tombe sous un monceau de terre. »

Le poète tragique, Euripide, parle dans le même sens :

« Il fallait nous réunir et pleurer sur l'enfant qui naissait, en le voyant entrer dans cette carrière de maux ; aujourd'hui qu'il est mort, et se repose enfin de ses labeurs pénibles, il faut nous réjouir et le porter au bûcher au milieu de joyeuses félicitations. »

Il exprime ailleurs la même pensée :

« Vivre est-ce mourir ? Mourir est-ce vivre ? Qui le sait ?»

Hérodote semble mettre dans la bouche de Solon des paroles semblables : « Ô Crésus, tout homme n'est que misère.» La fable de Cléobis et de Biton n'est évidemment écrite que dans le but de condamner la naissance et de louer la mort.

« Telle la naissance des feuilles, telle aussi celle des hommes, dit Homère.»

 

Dans le Cratyle, Platon attribue à Orphée le dogme que l'âme subit dans le corps un châtiment. Voici les paroles de Platon : « Il en est qui veulent que le corps (en grec Sôma) soit le tombeau (Sèma) de l'âme, parce qu'elle est ensevelie dans la vie présente. Comme sa signification se confond avec celle du mot âme, c'est avec raison qu'on l'a nommé Sèma. Orphée, ce me semble, a donné ce nom au corps surtout, parce que l'âme y subit le châtiment de fautes antérieures. » Il est bon de rappeler ici les paroles de Philolaüs ; ce pythagoricien nous dit : « Les théologiens et les devins antiques attestent que l'âme a été jointe au corps pour expier un crime, et qu'elle a été ensevelie dans le corps comme dans un tombeau.» Pindare lui-même, parlant des mystères d'Eleusis, en tire cette conclusion : « Quiconque les a vus, descend heureux dans les profondeurs de la terre ; il connaît la fin de la vie ; il connaît l'empire donné par Jupiter.» Platon, aussi, dans le Phédon, ne craint pas d'écrire ces paroles : « Or, ceux qui ont établi les mystères parmi nous, n'ont rien fait autre chose, etc., etc...» jusqu'à ces mots : « Il habitera avec les dieux.» Et ces autres paroles du même Platon : « Tant que nous avons un corps et que notre âme se trouve mêlée à un pareil mal, jamais nous ne possédons entièrement ce « que nous désirons. » N'est-ce pas insinuer que la génération est la cause des plus grands maux ? Platon atteste encore la même chose dans le Phédon : « Il peut advenir qu'à l'égard de ceux qui s'appliquent vraiment à la philosophie, le vulgaire ignore que tous leurs efforts ne tendent qu'à sortir de la vie et qu'à mourir tous les jours. »

 

Platon ajoute : « C'est pourquoi l'âme du philosophe a le plus profond dédain pour le corps, et le fuit de toutes ses forces, aspirant à exister seule et libre de ses liens. » Platon ne se rencontre-t-il pas ici avec le divin apôtre : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? » à moins que l'apôtre n'ait parlé en figure et n'ait entendu par ce corps de mort, l'ensemble de ceux qui se laissent entraîner dans le vice. Platon paraît avoir eu aussi, avant Marcion, de l'éloignement pour les rapports charnels, principe de la génération ; car, dans le premier livre de sa république, après avoir fait l'éloge de la vieillesse, il ajoute : « Sache-le bien, plus les voluptés du corps s'amortissent en moi, et plus aussi je sens se réveiller au fond de mon âme le goût pour les sciences, et plus je sens s'accroître le plaisir qu'elles procurent.» Et comme on avait amené la question sur l'usage des plaisirs charnels : « Félicite-moi, dit-il, j'en ai secoué le joug avec plaisir, comme si j'avais échappé à la tyrannie d'un maître furieux et brutal.» Et condamnant de nouveau, dans le Phédon, la génération, il ajoute : « La raison qu'on en donne en secret, est que nous autres hommes nous sommes dans une espèce de prison.» Et encore : « Ceux-là paraissent exceller sur tous les autres par la sainteté de leur vie, qui, délivrés et affranchis des liens par lesquels ils étaient retenus sur la terre, comme dans une geôle, s'en vont là-haut dans la demeure pure et sans tache.» Telle était, sans doute, l'opinion de Platon ; il comprenait, toutefois, que l'univers est sagement gouverné, et il disait : « Il ne faut pas se délivrer soi-même de la vie, ni s'enfuir comme un esclave ;» et pour le dire en un mot, il n'a pas donné sujet à Marcion de regarder la matière comme mauvaise, puisqu'il a écrit lui-même ces religieuses paroles sur le monde : « Tous les biens que le monde renferme, il les tient de Dieu qui l'a créé; mais tout ce qu'il y a de mal et d'inique sous le soleil, le monde le tient de l'état antérieur à la création, et le communique aux êtres animés.» Puis il ajoute ces paroles encore plus positives : « La cause de ces maux pour le monde est l'élément matériel qui est entré dans la composition des corps, élément qui faisait partie de la nature primitive ; car, ainsi qu'elle, il était informe et désordonné, avant d'être organisé comme il l'est maintenant.» Et dans les Lois il ne gémit pas moins sur le genre humain : « Les dieux, dit-il, ayant pris pitié de la race humaine, condamnée par la nature au travail, lui assignèrent pour se reposer, le retour périodique des jours de fête.» Et dans l'Epinomide, exposant en quoi les hommes sont à plaindre, il s'exprime ainsi : « Dès le principe, arriver à la vie est pénible pour tout être animé ; il faut d'abord qu'il passe par l'état de fœtus ; puis qu'il naisse ; puis qu'il soit allaité ; puis qu'on l'élève ; toutes choses qui ne se font qu'au prix de mille fatigues, comme nous le savons tous.» Mais quoi ! Héraclite, aussi, ne dit-il pas que naitre c'est mourir ? il est d'accord en cela avec Pythagore et avec Socrate dans le Gorgias. Voici ce qu'il dit : « La « mort est tout ce que nous voyons lorsque nous sommes éveillés, le songe tout ce que nous voyons en dormant.» Mais assez sur ce point. Lorsque nous traiterons des principes, nous examinerons ces contradictions auxquelles fout allusion les philosophes et dont les Marcionites ont formé une doctrine particulière. Du reste, je crois avoir prouvé assez clairement que Marcion, en empruntant à Platon ces dogmes étranges, a fait preuve de maladresse et d'ignorance.

 

Arrivons maintenant à la continence. Nous avancions que les Grecs, envisageant tous les inconvénients qu'entraine avec soi la génération des enfants, avaient beaucoup déclamé contre elle, et que les Marcionites entendant leurs paroles dans un sens impie, se montraient ingrats envers le Créateur. Que dit en effet le poète tragique ?

« Il vaut mieux pour les mortels ne pas naitre que de naitre.» Et puis : « J'enfante avec de cruelles douleurs ; ai-je enfanté ? si j'ai donné le jour à quelques enfants idiots, je m'afflige, mais en vain, de ce que je conserve les mauvais et perds les bons. Conservé-je ces derniers ? mon malheureux cœur sèche de crainte. Est-ce là le bonheur ? Ne suffit-il pas d'une vie à perdre, sans avoir encore mille autres tourments ? »

 

Il ajoute :

« Il m'a toujours semblé, comme il me semble encore, que les hommes ne devraient jamais engendrer d'enfants, lorsqu'ils voient pour combien de maux nous les engendrons. »

Et dans les vers qui suivent, le poète fait remonter clairement la cause de nos maux jusqu'à ses premiers principes :

« Ô homme, s'écrie-t-il, tu es né pour la souffrance et pour le malheur ! et cette fatalité de la vie, tu l'as reçue à l'instant même où l'air a commencé de nourrir tous les mortels en leur donnant le souffle qui les anime. Mortel, n'oublie donc pas que tu es sujet à la mort.»

C'est encore dans le même sens qu'il dit :

« Pas un mortel qui connaisse le bonheur et la félicite ; pas un qui ait vécu sans tribulations ! »

Et ailleurs :

« Hélas ! hélas ! combien lourds et nombreux sont les maux des mortels ! combien ils sont variés ! où est la limite qui leur est assignée ?»

Et pareillement :

« Parmi les mortels, pas un qui soit heureux jusqu'à la fin. »

C'est pour cela, dit-on, que les Pythagoriciens s'abstiennent des plaisirs de la chair ; pour moi, il me semble au contraire qu'ils se marient pour avoir des enfants ; seulement lorsqu'ils en ont, ils veulent maitriser leur penchant aux plaisirs sensuels. C'est par la même raison qu'ils défendent mystérieusement l'usage des fèves, non que ce légume soit venteux ou indigeste, ou qu'il engendre des songes tumultueux, ni que la forme en soit pareille à la tête de l'homme, comme le veut ce vers :

« Manger des fèves ou manger la tête de son père, est une même chose ; »

Mais bien plutôt parce que les fèves rendent stériles les femmes qui s'en nourrissent. En effet, Théophraste, dans le cinquième livre de son ouvrage des Causes naturelles, rapporte que des cosses de fèves jetées autour des racines de jeunes arbres, les dessèchent ; et que parmi les oiseaux domestiques, ceux que l'on nourrit continuellement de fèves, deviennent stériles.

 

 

CHAPITRE IV.

 

Les hérétiques prennent occasion des maximes qu'ils inventent pour se livrer à des désordres de toute nature.

 

Parmi ceux que l'hérésie entraîne, nous avons nommé l'habitant du Pont, Marcion, qui, par suite de la guerre qu'il a déclarée au Créateur, se refuse à user des choses de ce monde. Mais le motif de sa continence, si toutefois on peut l'appeler de ce nom, c'est sa haine, sa révolte envers le Créateur lui-même. Dans le combat que le géant impie s'imagine livrer à Dieu, il se condamne à une continence involontaire, en insultant à la création et à l'œuvre divine. Voudrait-il s'étayer des paroles du Seigneur, quand il dit à Philippe : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ; vous, suivez-moi. » Mais, qu'il le sache bien ! Philippe, tout revêtu qu'il était d'une semblable chair, n'était point un cadavre eu corruption. Comment donc, avec une enveloppe charnelle, ne portait-il pas un cadavre ? C'est qu'il s'était relevé du sépulcre par la mort du vice, et qu'il vivait en Jésus-Christ. Nous avons aussi rappelé la doctrine criminelle de Carpocrate sur la communauté des femmes ; mais, à l'occasion d'une parole de Nicolas, nous avons omis le fait suivant. Il avait, dit-on, une femme dans la fleur de l'âge et de la beauté ; après l'ascension du Sauveur, comme les apôtres lui faisaient honte de sa jalousie, il amena sa femme au milieu d'eux, et permit à qui voudrait de l'épouser. En effet, ajoute-t-on, cette liberté est d'accord avec l'aphorisme de Nicolas : « Il faut abuser de la chair. » Ses disciples, adoptant à la lettre et sans examen l'exemple non moins que la parole du maitre, se livrent publiquement à une fornication effrontée. Mais, pour moi, je sais que Nicolas ne connut d'autre femme que celle qu'il avait épousée ; que ses filles ont vieilli dans !a virginité, et que son fils est demeuré dans le célibat. La chose étant ainsi, Nicolas, en amenant au milieu des apôtres la femme dont on l'accusait d'être jaloux, voulait se justifier de l'inculpation, et par sa continence dans des plaisirs recherchés d'ordinaire avec empressement, il enseignait à abuser de la chair, c'est-à-dire à mortifier les sens. Car ils ne voulaient pas, j'imagine, servir l'un et l'autre deux maîtres, selon le langage du précepte, Dieu et la volupté. C'est pourquoi l'on assure que Mathias enseignait aussi, qu'il faut combattre les sens et abuser de la chair, en lui refusant tout ce qui peut servir d'aliment à la volupté ; mais, augmenter les forces de l'âme par la foi et par la connaissance. Il en est d'autres qui appellent une honteuse promiscuité du nom de communion mystique, profanant ainsi ce mot sacré. De même que nous employons le mot œuvre pour désigner une action, qu'elle soit bonne ou mauvaise, en la qualifiant par un nom générique ; ainsi en est-il de ce mot communion. La communion légitime consiste à se partager mutuellement l'argent, la nourriture et les vêtements ; mais eux, ce n'est que par une dénomination impie qu'ils ont pu appeler communion tout accouplement charnel. L'un d'eux s'étant approché, comme on le rapporte, de l'une de nos vierges, qui était dans tout l'éclat de la beauté, lui dit : Il est écrit : « Donnez à qui vous demande. » Celle-ci, sans rien comprendre aux intentions lubriques de cet homme, lui répondit avec le langage de l'innocence : « Consultez ma mère sur ce mariage. » Ô impiété ! ils vont jusqu'à dénaturer les paroles du Seigneur, ces associés de débauche, ces frères de lubricité, opprobre de la philosophie, ou pour mieux dire, du genre humain tout entier ; ces corrupteurs, ou plutôt, ces destructeurs de la vérité, autant du moins qu'ils peuvent la détruire ; hommes trois fois misérables, qui consacrent et enseignent la libre communion de la chair, et pensent s'élever par elle au royaume de Dieu. Mais non ; cette communion les pousse aux lieux de débauche ; leurs dignes communiants, ce seraient les boucs et les pourceaux ; et les courtisanes, toujours prêtes au fond de leur repaire à admettre impudemment les solliciteurs de la débauche, seraient, aux yeux de ces hérétiques, dans la meilleure voie du salut. « Pour vous, ce n'est pas là ce que vous avez appris de Jésus-Christ, si toutefois vous êtes ses disciples, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller le vieil homme, selon lequel vous avez vécu autrefois, et qui se corrompt en suivant l'illusion de ses passions. Renouvelez-vous donc dans l'intérieur de votre âme, et vous revêtez de l'homme nouveau, qui est créé à la ressemblance de Dieu, dans la justice et la sainteté véritables. Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien-aimés, et aimez-vous les uns les autres, comme Jésus-Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous, en s'offrant à Dieu comme une victime d'agréable odeur. Qu'on n'entende pas même parler parmi vous de fornication, ni de quelque impureté que ce soit, ni d'avarice, ainsi qu'il convient à des saints. Qu'on n'y entende ni parole déshonnête, ni folle gaité. » En effet, l'apôtre nous enseignant à pratiquer la chasteté jusque dans nos paroles, écrit : « Car, sachez que nul fornicateur, etc. etc. » jusqu'à ces mots : « mais plutôt, condamnez-les. »

 

La doctrine des hérétiques dont nous parlons prend sa source dans un livre apocryphe ; je citerai même le fragment par lequel ils autorisent leur libertinage. S'ils sont eux-mêmes les auteurs de ce livre, quel délire d'incontinence que d'appeler insolemment Dieu au secours de leur lubricité ! S'ils tiennent ce livre d'un étranger, ils se sont incorporé le poison de cette belle maxime, après en avoir altéré le sens. Voici le passage en question : « Un était toutes choses ; mais après que l'Un universel eut trouvé bon de n'être plus seul, une vertu sortit de lui, il s'unit avec elle ; leur union engendra le bien-aimé. Ensuite, il sortit de lui une nouvelle vertu, avec laquelle il s'unit encore et d'où naquirent les puissances qui ne peuvent être ni vues ni entendues ; etc. etc. jusqu'à ces mots : « Chacune avec son nom distinct. » Si ces hérétiques, comme les Valentiniens, eussent posé en principe la communion de l'esprit, peut-être eussent-ils rencontré quelques partisans. Mais, élever au rang d'une sainte doctrine la communion des plaisirs charnels, c'est le propre d'un homme qui méconnait le salut.

 

Telles sont aussi les doctrines des disciples de Prodicus, qui se donnent, sans aucun droit, le nom de gnostiques. Fils du premier Dieu par droit de nature, comme ils le prétendent, ils abusent de cette noble origine et de leur prétendue liberté, pour vivre à leur fantaisie. Or, leur fantaisie les porte surtout vers les plaisirs des sens ; ils se proclament affranchis de tout lien, comme maîtres du sabbat, et supérieurs à tout autre par l'excellence de leur race et leur qualité de fils de roi. La loi, disent-ils, n'atteint pas le roi. Mensonges ! D'abord, ils ne font pas tout ce qu'ils veulent ; car, de nombreux obstacles les arrêteraient, malgré leurs désirs et leurs efforts ; et ce qu'ils font, ils ne le font pas comme des rois, mais comme des criminels qui portent encore l'empreinte de la flagellation. C'est furtivement qu'ils commettent leurs adultères, craignant toujours d'être surpris, évitant d'être condamnés, et redoutant le supplice. Singuliers actes de liberté que l'incontinence et l'obscénité du langage ! « Tout homme qui pèche est esclave, » dit l'apôtre. Et comment se gouvernerait-il selon Dieu, celui qui s'asservit à toute concupiscence ? Écoutez le Seigneur : « Et moi je vous dis : Ne convoitez pas. » Or, quel est le misérable qui voudra pécher de propos délibéré ? Qui prêchera la doctrine de l'adultère ? Qui autorisera les dissolutions et la profanation de la couche nuptiale ? N'avons-nous pas pitié de ceux même qui pèchent involontairement ? Supposez les hérétiques transportés dans un monde qui n'est pas le leur ; comme ils ont été infidèles dans le monde d'un Dieu étranger, ils ne trouveraient aucune créance. Un hôte insulte-t-il aux habitants d'une ville où il a été accueilli ? cherche-t-il à leur nuire ? ou plutôt ne vit-il pas comme un honnête voyageur, usant de ce qui lui est nécessaire, sans offenser aucun de ceux qui lui ont donné l'hospitalité ?

 

Et comment, lorsque dans leur révolte contre les lois, ils se conduisent aussi honteusement que ceux qui sont abominables aux yeux des païens eux-mêmes, c'est-à-dire lorsqu'ils sont livrés à l'adultère, à l'iniquité, à l'incontinence, à la fraude, osent-ils proclamer que, seuls, ils connaissent Dieu ? Placés qu'ils sont dans un monde qui ne leur appartient pas, leur meilleur moyen de prouver qu'ils ont une vertu vraiment royale, ce serait la régularité des mœurs ; loin de là, ils sont abhorrés par les lois humaines et par la loi divine pour avoir embrassé un régime de vie contraire aux lois. Assurément, l'Israélite qui, dans les Nombres, immola le fornicateur, fit un acte de justice, comme Dieu l'atteste. « Et si nous disons, déclare Jean dans son épître, que nous sommes en société avec lui, c'est-à-dire avec Dieu, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous ne suivons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en société avec lui, et le sang de Jésus, son fils, nous purifie de tout péché. » Comment donc sont-ils meilleurs que les hommes du siècle, ceux qui agissent ainsi, et qui sont semblables aux plus méchants d'entre les hommes ? Car, où les actes sont semblables, la nature, j'imagine, l'est aussi. Vous êtes d'une naissance supérieure, dites-vous ? raison de plus d'être supérieurs aux autres par votre conduite, afin d'éviter que la même prison ne vous renferme. « En vérité, a dit le Seigneur, si votre justice n'est plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume de Dieu. »

 

On trouve dans Daniel des exemples relatifs à l'abstinence des aliments. Enfin, David, dans ses psaumes, s'exprime ainsi sur l'obéissance : « Seigneur, comment la jeunesse redressera-t-elle ses voies ? » Et il entend aussitôt : « En gardant vos paroles de tout son cœur. » J'ouvre Jérémie : « Voici ce que dit le Seigneur : Ne marchez pas dans les voies des nations. » De ces paroles, quelques autres hérétiques, hommes de peu d'intelligence et de nulle valeur, concluent que l'homme est l'œuvre de différentes puissances. La partie, disent-ils, qui se trouve au-dessous du nombril est le produit d'un art plus divin ; les parties au-dessous, d'un art inférieur. De là leur tendance vers la copulation charnelle. Mais ils ne remarquent pas que les parties supérieures ont aussi des convoitises de sensualité ou de débauche. En outre, ils contredisent le Christ, qui disait aux Pharisiens que le même Dieu a fait le dedans de nous et l'homme extérieur. Que dis-je ? la convoitise ne vient pas du corps, quoiqu'elle s'accomplisse par le corps.

 

Selon d'autres hérétiques, appelés antitacles ou adversaires, le Dieu de l'univers est notre père légitime, et toutes ses œuvres sont bonnes ; mais l'un des êtres créés par lui, ayant semé l'ivraie, engendra le mal et nous enlaça tous dans les filets du mal pour nous rendre les adversaires du Père. Voilà pourquoi nous résistons à ce rebelle, pour venger le Père, en donnant un démenti au second. « Tu ne seras point adultère, nous dit ce dernier.» Eh bien ! nous, nous courons à l'adultère pour annuler son commandement. Notre réponse, la voici : La tradition nous apprend que les faux prophètes et ceux qui prennent le masque de la vérité, se font connaitre à leurs œuvres. Or, si vos œuvres vous condamnent, comment pouvez-vous soutenir encore que vous possédez la vérité ? Car, ou bien le mal n'existe pas, et alors celui que vous accusez d'avoir résisté à Dieu n'est passible d'aucun blâme, et il n'a fait aucun mal ; mais le mal détruit, l'arbre du mal l'est également. Ou bien si le mal existe essentiellement, répondez, que faites-vous des préceptes qui nous prescrivent la justice, la continence, la tolérance, la patience et les matières semblables ? Sont-ils bons ? Sont-ils mauvais ? Si le précepte est mauvais, lui qui défend toutes les choses honteuses, voilà que le vice porte des lois contre lui-même et travaille à sa propre ruine, chose impossible. Si le précepte est bon ; en déclarant la guerre à des préceptes qui sont bons, ces hérétiques confessent donc qu'ils repoussent le bien, et qu'ils font le mal.

 

Il y a plus : le Sauveur lui-même, auquel seul, à les en croire, on doit obéissance, défend la haine et l'injure : « Hâtez-vous, dit-il, de vous réconcilier avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec lui.» Ou enfin ils refuseront d'obéir à l'exhortation du Christ, se faisant ainsi les adversaires de l'adversaire ; ou s'ils l'aiment, ils ne s'élèveront pas contre lui, Mais quoi ! ne savez-vous pas, hommes de noble origine (car il me semble qu'ils sont en face de moi), ne savez-vous pas qu'en repoussant des préceptes qui sont justes, vous repoussez votre propre salut ? Non, ce n'est pas à la ruine de préceptes utiles, mais à votre propre ruine que vous travaillez. Que dit le Seigneur ? Que vos bonnes œuvres brillent. Mais vous, que mettez-vous en lumière, sinon vos intempérances ? D'ailleurs, acharnés comme vous le dites à détruire les préceptes du législateur, pourquoi donc vous efforcer de ruiner au profit de votre intempérance les préceptes qui disent : « Tu ne seras point adultère ; tu ne commettras pas le crime de Sodome, » et tous ceux qui recommandent la continence ; tandis que vous ne détruisez pas l'hiver, œuvre du même législateur, pour placer l'été au milieu de l'hiver ? Que ne rendez-vous la terre navigable ? Que n'ouvrez-vous la mer au pied de l'homme, comme le tenta le barbare Xerxès, au rapport des historiens ? Pourquoi ne repoussez-vous pas tous les commandements ? Car, lorsque Dieu prononce cet oracle : Croissez et multiplies-vous, vous devriez, vous, ses adversaires, vous abstenir entièrement de l'œuvre de la chair. Et lorsqu'il vous dit : « Je vous ai donné toutes choses, pour votre nourriture et pour votre jouissance ; » vous devriez vous les interdire toutes. Il y a plus, lorsqu'il vous dit : œil pour œil, vous ne devriez pas rendre coup pour coup. Et lorsqu'il ordonne que le voleur rende le quadruple de ce qu'il a pris, ne vous conviendrait-il pas, au contraire, de donner quelque chose de plus au voleur ? Pareillement encore, puisque vous refusez d'obéir à ce précepte : Tu aimeras le Seigneur, vous ne devriez pas même aimer le Dieu de l'univers. Et lorsqu'il nous dit : « Tu ne tailleras ni ne jetteras en fonte aucune image ;» il vous faudrait, pour être conséquents, adorer des images. Et comment ne seriez-vous pas des impies, vous qui vous constituez, pour me servir de vos termes, les adversaires du Créateur, mais qui ne dédaignez pas d'imiter les prostituées et les adultères ? Insensés, qui ne comprenez pas que vous relevez la puissance de ce Dieu dont vous proclamez la faiblesse, puisque sa volonté s'accomplit et non la volonté du dieu bon que vous donnez pour le vôtre ! Ne manifestez-vous pas au contraire l'impuissance et le néant de votre père, comme vous l'appelez ?

 

Ces hérétiques recueillent encore ça et là, dans certains passages des prophètes, des lambeaux de maximes qu'ils rattachent maladroitement à leurs dogmes, et des allégories qu'ils prennent à la lettre sans chercher le sens du symbole. Il est écrit, disent-ils : Ils ont résisté à Dieu, et ils ont été sauvés. Mais ils ajoutent au dieu impudent, et les voilà transformant leur interpolation en conseil qui leur a été prescrit, avec l'opinion que leur salut est de résister au Créateur. Mais d'abord, il n'est pas écrit : au dieu impudent. Si le texte n'est point altéré, comprenez, insensés, par ce mot impudent, celui que l'on appelle le diable, soit parce qu'il est le calomniateur de l'homme, soit parce qu'il est l'accusateur du pécheur, soit parce qu'il est apostat. Mais voici le fait : Le peuple auquel s'applique cette parole, supportant avec peine et avec larmes la punition de ses péchés, murmurait, ainsi que le raconte le livre sacré, de ce que les autres nations ne recevaient pas le châtiment de leurs iniquités, tandis qu'à lui seul on demandait un compte rigoureux de chacune de ses fautes. De là cette parole de Jérémie : « Pourquoi les impies prospèrent-ils dans leurs voies ? » parole semblable à celle que nous avons déjà citée de Malachie : Ils ont résisté à Dieu, et ils ont été sauvés. Car les prophètes inspirés par Dieu, non contents de proclamer les vérités qu'ils ont reçues d'en haut par inspiration, répètent encore par forme de subjection et comme des questions que les hommes adressent à Dieu, les rumeurs et les plaintes du peuple. Tel est le mot que nous avons rapporté. L'apôtre ayant en vue ces hérétiques dans son épitre aux Romains, n'écrit-il pas ? « Et pourquoi ne ferons-nous pas le mal afin qu'il en arrive du bien, comme quelques-uns nous le font dire par une insigne calomnie ? Ceux-là seront justement condamnés. » Ce sont les hommes qui, en lisant, dénaturent, par les inflexions de la voix, le sens des Écritures pour justifier leurs voluptés personnelles, et qui, par la transposition de certains accents et de certains signes de ponctuation, détournent violemment au profit de leur luxure des préceptes pleins de sagesse et d'utilité : « Vous avez fatigué le Seigneur par vos discours, s'écrie Malachie, et vous avez demandé : En quoi l'avons-nous fatigué ? En ce que vous avez dit : Tous ceux qui font le mal sont bons aux yeux du Seigneur. Voilà ceux qui lui plaisent ; et où est le Dieu de justice ?

 

 

CHAPITRE V.

 

Il signale deux sortes d'hérétiques : les premiers déclarent que tout leur est promis. Il les réfute d'abord.

 

Fouiller plus profondément ce sol infect, ce serait remuer un trop grand nombre d'extravagances et d'hérésies. D'ailleurs, les détails qu'elles entraîneraient nécessairement, si nous les parcourions les unes après les autres, nous condamneraient nous-mêmes à rougir, et allongeraient démesurément ces commentaires. Pour obvier à ces inconvénients, voyons à ranger en deux classes toutes les hérésies, afin de leur répondre ensuite. En effet, ou elles prêchent la licence et l'affranchissement de toute règle ; ou, dépassant la juste mesure, elles professent la continence par haine et par impiété. Traitons d'abord de la première série. S'il est permis de choisir un genre de vie quel qu'il soit, il est libre de choisir, celui que la continence accompagne. Cela est évident ; et si tout genre de vie est sans danger pour celui qui en fait choix, il est évident qu'une vie tempérante et vertueuse est bien plus sûre encore. Car, si le maître du sabbat a reçu le privilège (menât-il une vie déréglée), de n'être pas comptable, à plus forte raison, celui qui se sera bien conduit sera-t-il au-dessus de tout compte. « Car, tout est permis, mais tout n'est pas expédient, » dit l'apôtre. Or, si tout est permis, évidemment il est aussi permis d'être tempérant. De même donc que celui qui a usé de sa liberté pour vivre dans la vertu, est digne d'éloges ; de même aussi, celui qui nous a donné la libre jouissance de nous-mêmes et qui nous a permis de vivre à notre gré, est beaucoup plus digne encore de vénération et d'adoration, pour n'avoir pas voulu que nos choix ou nos aversions nous fussent fatalement imposées. Mais si la sécurité est égale pour qui a embrassé l'incontinence comme pour qui a embrassé la continence, l'honneur n'est pas égal dans l'un et l'autre choix. Car le voluptueux fait une chose agréable au corps, tandis que l'homme tempérant affranchit des passions l'âme, maitresse du corps. Nous avons été appelés à la liberté, s'écrient-ils. Qui le niera ? « Ayons soin seulement, dit l'apôtre, que cette liberté ne nous soit point une occasion de vivre selon la chair. »

 

Mais, si l'on ne doit rien refuser au désir, dans la pensée qu'une vie d'opprobre est chose indifférente en elle-même, ainsi qu'ils le répètent, qu'arrive-t-il alors ? Ou il faut écouter aveuglément nos désirs et nous précipiter dans les derniers excès du crime et de la dépravation, sur les pas de quiconque nous les conseille ; ou bien nous reculons devant certains désirs, et alors il ne faut donc pas vivre indifféremment, ni, lâches flatteurs d'un cadavre, obéir sans pudeur aux plus viles parties de nous-mêmes, au ventre et à ce que nous ne pouvons nommer. Car l'aliment des voluptés nourrit et vivifie le désir, de même qu'il languit et s'éteint faute de pâture. Or, comment adviendra-t-il que, vaincu par les voluptés du corps, on ressemble au Seigneur, ou que l'on ait la connaissance de Dieu ? Le principe de toute volupté est le désir : or le désir est un tourment et une inquiétude qui convoite parce qu'il n'a pas. C'est pourquoi ceux qui l'adoptent pour principe de conduite, « souffrent mille maux, sans parler même du déshonneur », comme dit le poète, puisqu'ils choisissent dans le présent et dans l'avenir un mal qu'ils ont appelé sur eux-mêmes. Si donc tout était permis, nous n'aurions pas à craindre d'être retranchés du salut à cause de nos mauvaises actions ; et l'hérésie aurait peut-être alors un prétexte pour se plonger dans la honte et le désordre. Mais puisque les préceptes divins nous montrent une vie heureuse à conquérir par notre attention à ne donner aucune fausse interprétation à la doctrine, à ne négliger aucun des devoirs, si minime qu'il paraisse, et à marcher où le Verbe nous conduit, parce que nous détourner de lui c'est tomber nécessairement dans un mal éternel, tandis que, suivre les divins enseignements par lesquels marchent tous les hommes de foi, c'est ressembler, autant qu'il est possible, au Seigneur ; il s'ensuit que la créature ne peut vivre ici-bas sans règle et sans loi. Loin de là ; elle devra se tenir, selon ses forces, pure de désirs et de voluptés, et prendre soin de l'âme par laquelle il lui faut persévérer en Dieu seul. En effet, l'esprit où règne l'innocence, sanctuaire consacré par l'image de Dieu, est comme investi de la puissance divine. « Quiconque a cette espérance dans te Seigneur, dit l'apôtre, se sanctifie comme le Seigneur est saint lui-même. » Mais, que la connaissance de Dieu vienne à ceux que les passions entrainent encore, cela est impossible, tout aussi bien que d'arriver à leur fin dernière, puisqu'ils n'ont pas la connaissance de Dieu. L'ignorance où il est de Dieu accuse celui qui ne parvient pas à cette fin ; car, d'où provient l'ignorance de Dieu ? du genre de vie que l'on a embrassé. II ne peut arriver que le même homme possède la science et ne rougisse pas de flatter la chair. Comment voulez-vous que cette proposition, la volupté est un bien, s'accorde avec cette autre : le bien est seulement ce qui est bon et honnête ; ou avec celle-ci : le Seigneur est le seul beau, le seul Dieu bon, le seul aimable ? « C'est dans le Christ que vous avez été circoncis, non d'une circoncision faite par la main des hommes, mais de la circoncision de Jésus-Christ, par laquelle vous avez été dépouillés de votre corps charnel. Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est dans le ciel, n'ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre ; car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; » non cette vie de fornication que mènent les hérétiques. « Faites donc mourir les membres de l'homme terrestre, la fornication, l'impureté, les passions déshonnêtes et les mauvais désirs. Voilà les crimes qui attirent la colère de Dieu. Que ces pécheurs renoncent donc à la colère, à l'aigreur, à la malice, à la médisance ; que les paroles déshonnêtes soient bannies de leur bouche. Qu'ils se dépouillent du vieil homme et de ses mauvais désirs, et qu'ils se revêtent du nouveau, qui, par la connaissance de la vérité, se renouvelle selon l’image de celui qui l'a créé. » Car c'est par la conduite qu'éclate la connaissance des préceptes. Tels discours, telle vie. L'arbre se distingue à ses fruits, non à ses fleurs, à ses feuilles et à ses branches. La connaissance se manifeste donc par le fruit et par la conduite, non par les discours et par les fleurs. Nous ne faisons pas de la connaissance une parole stérile et nue, mais une science divine ; et cette lumière qui, descendue dans l'âme par l'obéissance aux préceptes, produit au-dehors les merveilles de cette connaissance, met l'homme en état de se connaitre lui-même, et lui montre la route à suivre pour arriver à la possession de Dieu. Ce que l'œil est au corps, la connaissance l'est à l'âme. Et qu'à l'exemple de ceux qui vantent la douceur de la bile, on n'appelle pas liberté la servitude de la volupté. Nous avons appris, nous, que la liberté est celle que le Seigneur seul nous donne en nous affranchissant des voluptés, des mauvais désirs et des autres perturbations de l'âme. « Celui qui dit : Je connais le Seigneur, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, dit Jean, et la vérité n'est point en lui. »

 

 

CHAPITRE VI.

 

Il attaque la seconde classe d'hérétiques, ceux qui, par haine contre le Créateur, pratiquent la continence.

 

 

J'en viens à ceux qui, par une apparente pratique de continence, impies envers la créature et le saint Créateur, envers le seul Dieu tout-puissant, enseignent qu'il ne faut point admettre le mariage, ni la procréation des enfants, ni introduire à sa place dans le monde d'autres êtres destinés au malheur, ni fournir des aliments à la mort. Je commence par les paroles de Jean : « Maintenant aussi il y a plusieurs antéchrists ; ce qui nous fait croire que la dernière heure est proche. Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas de nous ; car s'ils eussent été de nous, ils seraient demeurés avec nous. » Puis, confondons-les et renversons l'échafaudage de leur doctrine. Ainsi, lorsque le Seigneur répond à Salomé qui lui demandait jusques à quand durerait la puissance de la mort ; « aussi longtemps, dit-il, que vous autres femmes vous enfanterez, » ce n'est pas que la vie et la créature soient chose mauvaise. Le Sauveur nous faisant toucher au doigt une conséquence naturelle, nous enseignait que la mort est la suite inévitable de la naissance. Que veut la loi ? nous éloigner des voluptés et de l'opprobre. La fin qu'elle se propose, c'est de nous amener de l'injustice à la justice, en nous prescrivant de pudiques mariages, l'honnête procréation des enfants, et une conduite pleine de sagesse. « Car, le Seigneur n'est pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. » L'accomplir ! non pas qu'il lui manquât quelque chose, mais parce que les prophéties de la loi ont reçu leur accomplissement par l'avènement de Jésus-Christ. En effet, c'était le Verbe qui prêchait la pureté et la sagesse à ceux même qui vécurent dans la justice avant la loi. La plupart des hommes, ne connaissant donc pas la continence, vivent de la vie du corps et non de la vie de l'esprit. Mais sans l'esprit, qu'est-ce que le corps ? rien que terre et que cendre. Il y a plus ; le Seigneur déclare adultère la pensée elle-même. Car enfin, ne vous est-il pas permis d'user du mariage avec tempérance, sans chercher à séparer ce que Dieu a joint ?

 

Voilà ce qu'enseignent ceux qui brisent les liens du mariage, donnant par là aux gentils l'occasion de blasphémer le nom Chrétien. Mais, puisque la copulation charnelle est chose infâme, à leur avis, nés qu'ils sont de la copulation charnelle, comment ne seraient-ils pas eux-mêmes des infâmes ? Il me semble au contraire, que pour ceux qui ont été sanctifiés, le germe d'où ils sont sortis est saint. Chez les Chrétiens, en effet, non-seulement l'esprit, mais les mœurs, la vie et le corps doivent être sanctifiés. Pour quelle raison l'apôtre Paul dirait-il « que la femme est sanctifiée par le mari et le mari par la femme ? » Que signifierait encore la réponse du Seigneur à ceux qui, l'interrogeant sur le divorce, lui demandaient « est-il permis de renvoyer sa femme, suivant la faculté qu'en laisse Moïse ?» — « C'est à cause de la dureté de votre cœur, que Moïse a écrit ces choses ; mais n'avez-vous point lu que Dieu dit au premier homme : Vous serez deux dans une seule chair ? C'est pourquoi celui qui renvoie sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, la rend adultère. Mais après la résurrection, ajoute le Seigneur, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris. » En effet, il a été dit de l'estomac et de la nourriture : « Les aliments sont pour l'estomac, et l'estomac pour les aliments ; mais Dieu les détruira l'un et l'autre. » L'apôtre, s'élevant ici contre ceux qui préconisent la vie du pourceau et du bouc, ne veut pas qu'ils puissent se plonger tranquillement et sans remords dans les plaisirs de la table et les voluptés de la chair. La résurrection s'est déjà opérée en eux, nous répètent-ils, et ils s'en autorisent pour abolir le mariage. Dès lors, qu'ils cessent donc de manger et de boire ; car l'apôtre l'a dit : « L'estomac et les aliments sont détruits dans la résurrection. » À quel titre ont-ils encore faim, ont-ils encore soif, souffrent-ils encore de l'aiguillon de la chair et des autres nécessités que n'endurera plus le fidèle qui a reçu par Jésus-Christ la résurrection parfaite, objet de notre espérance ? Que dis-je ? Les idolâtres eux-mêmes s'abstiennent de certains actes de la chair. « Car, le royaume de Dieu, dit l'apôtre, ne consiste pas dans le boire et dans le manger. » L'histoire atteste que les mages qui adorent les anges et les démons, s'interdisent le vin, les viandes et les rapprochements charnels. Or, de même que l'humilité réside dans la mansuétude et non dans les macérations du corps, ainsi la continence est une vertu de l'âme qui se trahit moins au dehors qu'elle ne séjourne dans le for intime. D'autres hérétiques déclarent positivement que le mariage est une fornication dont le démon est l'inventeur. Ils prétendent, ces hommes pleins de jactance, qu'ils imitent ainsi le Seigneur, qui ne se maria point, et ne posséda rien sur la terre ; et ils se vantent d'avoir, mieux que personne, compris l'Évangile. L'Écriture leur répond : « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. » Ensuite, ils ignorent pourquoi le Seigneur ne s'est pas marié. D'abord, sa fiancée véritable fut l'Église ; puis, il n'était pas un homme comme les autres, pour avoir besoin d'une aide selon la chair. D'ailleurs, il ne lui était pas nécessaire d'engendrer des enfants, lui qui demeure éternellement ; lui, le fils unique de Dieu. Or, c'est lui-même qui dit : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a joint. » Et encore : « Mais comme il est arrivé dans les jours de Noé, les hommes « épousaient des femmes et mariaient leurs filles ; ils bâtissaient et plantaient ; et comme il est arrivé dans les jours de Loth, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. » Et pour montrer qu'il ne s'adresse pas aux Gentils, il ajoute : « Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre ? » Et encore : « Malheur aux femmes qui seront enceintes, ou qui allaiteront en ces jours-là ! » Toutefois, ces choses sont dites dans un sens allégorique. C'est pourquoi il n'a pas marqué le moment que le Père garde en ses décrets, afin que le monde continuât de subsister par les générations. Quant à cette réponse du Seigneur : « Tous n'entendent pas cette parole ; car il y a des eunuques sortis tels du sein de leur mère ; il y en a que les hommes ont faits eunuques ; et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes, à cause du royaume des Cieux ; que celui qui peut entendre, entende. » Les hérétiques ne savent pas qu'après que le Seigneur eut parlé du divorce, plusieurs lui demandant : « Si telle est la conduite de l'homme avec la femme, il n'est donc pas bon de se marier ? » Il dit alors : « Tous n'entendent pas cette parole, mais ceux à qui il est donné. » Ceux qui l'interrogeaient ainsi voulaient savoir de lui s'il permettait qu'on épousât une autre femme, après que la première avait été condamnée et chassée pour cause de fornication.

 

On dit que beaucoup d'athlètes s'abstiennent des plaisirs charnels, pratiquant ainsi la continence à cause des exercices du gymnase. De ce nombre furent Astyle de Crotone, et Crison d'Himère. Aménée, le joueur de flûte, ne s'approcha point de la jeune femme qu'il venait d'épouser. Aristote, le cyrénaïque, fut le seul qui dédaigna la passion de Laïs. Il s'était engagé par serment, avec cette courtisane, à l'emmener dans la patrie, si elle consentait à lui prêter quelque assistance contre ses rivaux. Elle ne l'eut pas plutôt fait, qu'imaginant une ruse ingénieuse pour acquitter sa parole, Aristote fit peindre cette femme avec le plus de vérité qu'il lui fut possible, et transporta son image à Cyrène, ainsi que le raconte Ister dans son ouvrage intitulé : Nature des combats gymniques, Ainsi la chasteté ne prend place parmi les vertus, qu'à la condition d'être inspirée par l'amour de Dieu. Le bienheureux Paul ne dit-il pas de ceux qui ont le mariage en horreur : « Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi pour suivre des esprits d'erreur, et des doctrines de démons, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes ?» Il dit encore : « Que nul ne vous séduise, en affectant de paraitre humble, et en ne ménageant point le corps. » Le même dit aussi : « Êtes-vous lié avec une femme ? ne cherchez point à vous délier. N'avez-vous point de femme ? ne cherchez pas à vous marier. » Et encore : « Que chaque homme vive avec sa femme, de peur que Satan ne vous tente. » Mais quoi ? les anciens justes aussi, ne prenaient-ils pas avec reconnaissance leur part des choses créées ? Les uns engendrèrent des enfants dans un mariage pudique et continent. Les corbeaux apportaient à Élie sa nourriture, des pains et de la chair. Le prophète Samuel, prenant une épaule qui restait de ce qu'il avait mangé, la donna à Saül pour qu'il en mangeât. Or, les superbes qui, par la conduite et le plan de la vie, prétendent l'emporter sur ces justes, ne pourront même pas leur être comparés du côté des actions. C'est pourquoi : « Que celui qui n'ose manger de tout ne méprise point celui qui mange, et que celui qui mange ne condamne pas celui qui ne mange pas, puisque Dieu l'a reçu. » Il y a plus : le Seigneur, parlant de lui-même, dit : « Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : C'est un homme insatiable et adonné au vin, ami des publicains, et pécheur.» Condamneront-ils aussi les apôtres ? Pierre et Philippe eurent des enfants. Philippe, en outre, maria ses filles. Paul lui-même ne craint pas, dans une de ses épitres, d'adresser la parole à sa femme, qu'il ne conduisait pas partout avec lui, à cause de la promptitude et de la liberté que réclamait son ministère. Aussi dit-il, dans une de ses épitres : « N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme qui soit notre sœur en Jésus-Christ, comme font les autres apôtres ? » Ceux-ci, en effet, attachés aux devoirs de la prédication, conformément à leur ministère, et ne devant pas en être distraits, menaient partout avec eux des femmes, non pas en qualité d'épouses, mais avec le titre de sœurs, pour leur servir d'interprètes auprès des femmes que leurs devoirs retenaient à la maison, et afin que, par ces intermédiaires, la doctrine du Seigneur pénétrât dans les gynécées, sans que la malveillance pût les blâmer ou élever d'injustes soupçons. Nous savons tout ce qu'enseigne sur les diaconesses le très-illustre Paul, dans la seconde épître à Timothée. Au reste, il s'écrie lui-même : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, pas plus que dans le vin et les viandes que l'on s'interdit ; mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le Saint-Esprit. » Lequel de ces hérétiques a marché çà et là, comme Élie, couvert d'une peau de brebis et avec une ceinture de cuir ? Qui d'entre eux a revêtu un cilice, nu dans tout le reste du corps et sans chaussure, comme Isaïe ? Qui porte seulement une ceinture de lin, comme Jérémie ? Qui embrassera, sur les pas de Jean, le plan de vie digne d'un gnostique ? Tout en macérant ainsi leur corps, les bienheureux prophètes rendaient grâces au Créateur. Mais la prétendue justice de Carpocrate et de ceux qui, au même droit que lui, aspirent à la communauté du libertinage, est confondue par les paroles suivantes. Car, en même temps que le Seigneur nous dit : « Donnez à celui qui vous demande, » il ajoute : « Ne repoussez pas celui qui veut emprunter de vous ; » désignant ainsi le devoir de l'aumône, et non la communauté charnelle. Or, comment y aura-t-il quelqu'un qui demande, qui reçoive et qui emprunte, s'il ne se trouve personne qui possède, qui donne, ni qui prête ? Mais quoi ! Lorsque le Seigneur dit : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli ; j'étais nu, et vous m'avez revêtu ; » et qu'il ajoute : « Autant de fois vous l'avez fait pour un de ces petits, vous l'avez fait pour moi ; » n'a-t-il pas porté les mêmes lois dans l'ancien Testament ? « Celui qui donne au pauvre prête « à Dieu. » Et : « Ne t'abstiens pas de faire du bien à celui qui a besoin. » Il dit encore : « Que la miséricorde et la foi ne t'abandonnent pas. La pauvreté rabaisse l'homme, et la main des forts enrichit. » Et il ajoute : « Celui qui ne donne point son argent à usure est digne d'être admis. La santé de l'âme, voilà la véritable opulence de l'homme. » Ne nous indique-t-il pas, avec la dernière évidence, qu'à l'exemple du monde physique, qui se compose des contraires, du chaud et du froid, de l'humide et du sec, le monde moral se compose aussi de gens qui donnent et de gens qui reçoivent ? Et lorsqu'il dit encore : « Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvres, » il confond celui qui se glorifie d'avoir gardé tous les commandements depuis sa jeunesse ; car il n'a pas accompli celui-ci : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même ; » c'est-à-dire que le Seigneur, pour le former à la perfection, lui apprenait à donner dans un esprit de charité. Le Seigneur ne défend donc pas les richesses qu'accompagne la vertu ; ce qu'il défend, ce sont l'injustice et l'insatiabilité dans les richesses ; car, la fortune qui se grossit par l'iniquité, décroit et dépérit. Il en est qui, en semant, accroissent leurs trésors ; d'autres qui, en récoltant, les diminuent. C'est à eux qu'il a été dit : « Il a répandu ses biens sur le pauvre ; sa justice subsistera dans tous les siècles. » L'homme qui, en semant, recueille davantage, est celui qui échange, par l'aumône, les biens de la terre et du temps contre les biens du ciel et de l'éternité. L'autre, au contraire, est celui dont les mains ne s'ouvrent jamais en faveur du pauvre, sans profit pour lui toutefois, et qui enfouit ses trésors dans la terre, où la rouille et les vers les dévorent. Cette parole s'adresse à lui : « Celui qui amasse de l'argent dépose dans une ceinture percée. » Le Seigneur dit dans l'Évangile, que le champ de cet homme avait rapporté une grande abondance de fruits ; que voulant ensuite les renfermer, et prêt à rebâtir de plus grands greniers, il s'était dit à lui-même, en forme de prosopopée : « Tu as beaucoup de biens rassemblés pour de longues années ; mange, bois, réjouis-toi. Insensé ! lui dit Dieu, cette nuit même on te redemandera ton âme ; et les choses que tu as, à qui seront-elles ? »

 

 

CHAPITRE VII.

 

En quoi la continence chrétienne l'emporte sur celle que s'attribuent les philosophes.

 

Ainsi donc la continence humaine, telle que la définissent les philosophes, je dis les philosophes de la Grèce, fait profession de repousser le désir sans jamais céder à sa voix dans leurs actes. La continence du Chrétien, elle, consiste à ne pas désirer, non pas à se montrer fort contre le désir, mais à s'abstenir même de désirer. La grâce de Dieu est le seul moyen d'acquérir cette vertu. Voilà pourquoi le Seigneur a dit : « Demandez et l'on vous donnera.» Moïse obtint aussi cette grâce, afin qu'affranchi des besoins du corps, il n'éprouvât ni la faim ni la soif, pendant quarante jours. De même qu'il vaut mieux avoir la santé que de discourir sur la santé dans l'état de maladie ; de même, il vaut mieux être la lumière que de raisonner sur la lumière ; de même enfin, la continence qui émane de la vertu, vaut mieux que celle qu'enseignent les philosophes. En effet, où est la lumière les ténèbres ne sont pas. Mais là où le désir siège seul, bien qu'inactif, il ne participe à aucun acte corporel, cependant, par le souvenir il a commerce avec les objets éloignés. Quant à nous, disons en général du mariage, des aliments et des choses qui leur ressemblent, qu'au lieu de nous laisser conduire par la passion, il faut nous borner au nécessaire. Nous ne sommes pas les enfants du désir, mais les enfants de la volonté. Celui qui s'est marié pour donner le jour à des enfants, a obligation de s'exercer à la continence, afin de ne pas désirer même sa propre femme, qu'il doit chérir, en n'apportant à la procréation qu'une volonté chaste et tempérante. En effet, nous n'avons point appris «à contenter la chair.» Loin de là ! Nous marchons dans le Christ, qui est notre jour, et dans une vie sagement réglée, qui est la lumière du Christ, et non « dans la débauche, dans les festins, dans les impudicités, dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies.» Qu'on ne s'y trompe pas ! Il ne convient pas d'envisager la continence sous un seul point, par rapport aux plaisirs de la chair, par exemple ; elle embrasse toutes les convoitises auxquelles peut se porter une âme sensuelle, avide de voluptés et incapable de se borner au nécessaire. L'œuvre de cette vertu est de mépriser l'argent, d'étouffer la volupté, de fouler aux pieds les richesses, de dédaigner les spectacles, de modérer la langue, de maîtriser par la raison les appétits déréglés. Quelques anges, devenus incontinents et vaincus par la concupiscence, ne sont-ils pas tombés du ciel sur notre terre ? Valentin, dans son épitre à Agathopode, dit : « Jésus, après avoir résisté à toutes les tentations, déployait la continence d'un Dieu. Il mangeait et buvait d'une manière qui lui était propre ; il ne rendait jamais les aliments qu'il prenait ; il y avait en lui une telle force de continente pureté que la nourriture ne se corrompait pas dans un corps qui n'avait point à passer par la corruption du tombeau.» Pour nous, Chrétiens, nous pratiquons la continence et sanctifions le temple de l'Esprit saint par amour pour le Seigneur, non moins que par estime pour ce qui est beau. Car il est beau « de se faire eunuque de tout désir, à cause du royaume de Dieu, et de purifier sa conscience des œuvres mortes, afin de rendre un vrai culte au Dieu vivant.»

 

Quant à ceux qui, par haine de la chair, désirent en ingrats briser l'union conjugale, et renoncer aux aliments établis par l'usage, ce sont des ignorants et des impies qui poursuivent à la manière de plusieurs nations païennes, une continence extravagante. Ainsi les Brachmanes ne mangent rien de ce qui a eu vie, et ne boivent pas de vin. Les uns prennent leur nourriture, tous les jours, comme nous ; les autres, tous les trois jours seulement, s'il faut en croire Alexandre Polyhistor, dans son livre sur les Indiens. Ils méprisent la mort et ne font nul cas de la vie ; car ils croient à une vie nouvelle. Quelques-uns adorent Hercule et Pan. Parmi les Indiens, ceux qu'on appelle saints, passent toute leur vie sans aucun vêtement, livrés à la recherche de la vérité, prédisant l'avenir, et adorant je ne sais quelle pyramide, sous laquelle ils imaginent que reposent les os de quelque dieu. Ni les Gymnosophistes, ni ceux qu'on appelle saints, n'usent des plaisirs de la chair, qu'ils regardent comme un acte inique et contre nature : motif pour lequel ils se conservent chastes. Les Indiennes que l'on appelle saintes, gardent aussi leur virginité. Les uns et les autres observent les astres, et annoncent l'avenir d'après les figures qu'ils découvrent dans les phénomènes célestes.

 

 

CHAPITRE VIII.

 

Il explique les passages des saintes Écritures dont les hérétiques se sont servis pour attaquer le mariage. Il défend d'abord saint Paul d'une interprétation impie que les hérétiques ont donnée à quelques-unes de ses paroles.

 

Les partisans de la doctrine que les actions sont indifférentes, détournant de leur vrai sens quelques passages des Écritures, pensent y trouver une excuse à leur sensualité. Ils font, surtout, grand bruit de ce texte : «Car le péché n'aura plus d'empire sur vous, parce que vous n'êtes plus sous la loi, mais sous la grâce.» Ils en allèguent d'autres encore de cette nature qu'il est inutile de rappeler ici, puisque je n'arme pas un vaisseau de corsaire. Confondons en peu de mots leur vaine tentative !

 

L'illustre apôtre, dans les paroles qu'il ajoute à celles que je viens de citer, repousse l'accusation intentée contre lui : « Mais quoi ? pécherons-nous parce que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce ? Dieu nous en garde ! » N'est-ce pas détruire immédiatement, par une réfutation divine et toute prophétique, les sophismes à l'usage de la volupté ? Ils ne comprennent pas, à ce qu'il semble, « que nous devons tous comparaitre devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou ses mauvaises actions, pendant qu'il était revêtu de son corps. Si donc, quelqu'un est à Jésus-Christ, c'est une créature nouvelle » qui n'est plus sujette au péché. Ce qui était vieux est passé ; nous nous purifions de notre ancienne vie. « Voici que tout est devenu nouveau, » la chasteté succède à la fornication ; la continence à l'incontinence ; la justice à l'injustice. « En effet, quel lien peut-il y avoir entre la justice et l'iniquité. Quelle union entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre Jésus-Christ et Bélial ? Quelle société entre le fidèle et l'infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? Ayant donc reçu ces promesses, purifions-nous de tout ce qui souille le corps et l'esprit, achevant l'œuvre de notre sanctification dans la crainte de Dieu.»

 

 

CHAPITRE IX.

 

Il examine la réponse du Christ à Salomé.

 

Les hérétiques qui, par les dehors d'une spécieuse continence, s'interdisent l'usage des créatures de Dieu, invoquent à leur appui les paroles qui furent adressées à Salomé, et que nous avons citées plus haut. Elles se trouvent, si je ne me trompe, dans l'Évangile selon les Égyptiens. Ils veulent, en effet, que le Sauveur lui-même ait prononcé cet oracle : « Je suis venu pour détruire les œuvres de la femme ; » de la femme, c'est-à-dire du désir ; les œuvres, c'est-à-dire la naissance et la mort. Que diront-ils donc ? Que cet ordre a été détruit ? Ils n'oseront l'affirmer ; le monde obéit toujours aux mêmes lois. Mais le Seigneur ne nous a point trompés ; car, en vérité, il a détruit les œuvres de la concupiscence, l'amour de l'argent, des querelles, de la gloire, la passion effrénée des femmes, la pédérastie, la gourmandise, la prodigalité et les autres abominations semblables. Or, la naissance de ces vices est la mort de l'âme, puisque nous mourons véritablement par nos péchés. Par la femme, il entend l'intempérance. Mais il est nécessaire que la naissance et la mort des créatures aient lieu conformément aux lois établies, jusqu'au jour de la séparation définitive, et du rétablissement de l'élection par laquelle les substances mêlées au monde seront rendues à leur état naturel. Il n'est donc pas étonnant que le Verbe, ayant parlé de la consommation des temps, Salomé ait dit : « Jusques à quand les hommes mourront-ils ? » Or, l'Écriture donne à l'homme un double nom ; l'homme extérieur et l'âme ; et encore, celui qui est sauvé et celui qui ne l'est pas. Quant au péché, il est appelé la mort de l'âme. C'est pour cela que le Seigneur répond avec circonspection et sagesse : « Tant que les femmes enfanteront ; » c'est-à-dire, aussi longtemps que durera l'action des désirs. Aussi, écoutez l'apôtre : « Comme le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et la mort par le péché ; ainsi la mort a passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché. » Et : « La mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse. » Par une nécessité naturelle de l'ordre que Dieu a établi, la mort suit la naissance ; et la séparation du corps et de l'âme est amenée par leur réunion. Mais si la naissance a lieu pour la discipline et la connaissance, la séparation a lieu dans un but de rétablissement. De même que la femme est regardée comme la cause de la mort, parce qu'elle enfante ; ainsi, par le même motif, elle sera nommée le chef de la vie. La femme qui donna le premier exemple de la désobéissance fut nommée la vie, (Ève, en grec, Zoe), à cause de la succession d'êtres qui devaient descendre d'elle ; mère également de ceux qui naissent et de ceux qui sont morts, justes ou injustes ; selon que chacun de nous travaille à sa justification, ou, au contraire, se révolte volontairement contre la loi. J'en conclus que l'apôtre n'a aucune horreur de la vie qui anime la chair, lorsqu'il dit : « Mais, parlant avec toute liberté, Jésus-Christ sera encore glorifié dans mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort, comme il l'a toujours été ; car Jésus-Christ est ma vie, et la mort m'est un gain. Mais si en demeurant plus longtemps dans ce corps mortel, je dois être utile, je ne sais que choisir. Je me sens pressé des deux côtés ; j'ai, d'une part, un ardent désir d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ, ce qui vaudrait beaucoup mieux pour moi ; de l'autre, il est plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie. » Ne montre-t-il pas ouvertement par ces paroles, que la mort, en brisant la prison de l'âme, nous consomme dans l'amour de Dieu, et que la perfection de la vie, tant que nous sommes retenus dans la chair, est une attente et une patience pleine de gratitude, à cause de ceux qui ont besoin d'être sauvés ? Mais pourquoi les téméraires qui prennent pour guide leur liberté naturelle plutôt que la règle évangélique dont la vérité est le fondement, n'ajoutent-ils pas à leurs citations précédentes les paroles qui suivent et qui sont empruntées à celles que le Seigneur adresse à Salomé ? Cette femme venait de dire : « J'ai donc bien fait, moi qui n'ai pas enfanté ; » se louant ainsi de n'avoir pas été mère. Le Seigneur lui réplique : « Nourrissez-vous de toute herbe, mais non de celle qui est amère. » Il indique par là que la continence et le mariage sont laissés à notre choix, sans qu'il y ait nécessité ni commandement de l'un ou de l'autre ; il prouve, de plus, que le mariage continue l'œuvre de la création. Qu'on cesse donc de regarder comme une prévarication, l'union contractée selon le Verbe, à moins qu'on ne juge comme trop pénible le soin d'élever des enfants, dont la privation est si douloureuse pour d'autres. En outre, que la paternité ne paraisse amère à personne, en tant qu'elle détourne des œuvres divines par les mille occupations qu'elle entraine avec elle. Cet homme, incapable de porter facilement la vie solitaire, désire une famille, puisque la jouissance tempérante des choses qui plaisent n'encourt point de reproche, et que chacun de nous peut à son choix désirer des enfants. Mais, j'en ai fait la remarque, plusieurs de ceux qui se sont abstenus du mariage, sous prétexte de ses embarras et de ses soucis, sont tombés dans une dure misanthropie, opposée à la sainte connaissance, et le feu de la charité s'est éteint dans leurs cœurs. D'autres, au contraire, enchaînés au mariage et menant une vie toute charnelle au milieu des condescendances de la loi, sont devenus, selon le langage du prophète, semblables aux animaux.

 

 

CHAPITRE X.

 

Sens mystique d'une parole de Jésus-Christ, rapportée par saint Mathieu.

 

Mais qui sont ces deux ou trois personnes assemblées au nom du Christ et au milieu desquelles habite le Seigneur ? Ces paroles ne désignent-elles pas l'homme, la femme et l'enfant né de cette alliance, parce que la femme est unie à l'homme en Dieu ? Quant à celui qui veut rester libre de toute entrave pour l'œuvre chrétienne, et qui se refuse à la paternité à cause de ses devoirs et de ses embarras, qu'il demeure dans le célibat, comme moi, dit l'apôtre. Cherchons la signification de ces mots. « À en croire l'interprétation de quelques hérétiques, le Créateur, le Dieu auteur de la génération, résiderait avec le grand nombre ; tandis que le Sauveur, le fils de l'autre Dieu, c'est-à-dire du Dieu bon, habite avec un seul, avec l'élu. » Il n'en est rien. Dieu, par l'intermédiaire de son fils, habite avec ceux qui portent une sage tempérance dans le mariage et dans la génération, comme le même Dieu habite pareillement avec celui qui pratique une continence animée de l'esprit du Verbe. On pourrait encore, par ces trois personnes dont a parlé le Christ, entendre la colère, le désir et la raison ; ou bien, la chair, l'âme et l'esprit. Peut-être aussi cette sorte de trinité représente-t-elle la vocation, la seconde élection et la troisième espèce d'élection, la plus glorieuse de toutes, avec lesquelles habite la puissance d'un Dieu, universelle et divisible tout en demeurant une. L'homme donc, qui use des facultés naturelles de l'âme avec une tempérance raisonnable, désire les objets qui lui conviennent, et repousse les choses qui lui répugnent, dans la mesure des commandements. « Tu béniras, disent-ils, qui te bénira ; tu maudiras qui te maudira. » Mais quand, élevé au-dessus de la colère et du désir, et aimant réellement la créature en vue de Dieu, créateur de toutes choses, il a embrassé la vie d'un gnostique, et s'est établi, par sa ressemblance avec le Sauveur, dans un état de continence qui n'a plus rien de laborieux pour lui, parce qu'il a réuni la connaissance, la foi et l'amour, alors, devenu un dans ses jugements, véritablement spirituel, n'ouvrant jamais son âme aux moindres pensées qui proviennent de la colère et du désir, homme parfait enfin, rendu semblable au Seigneur par le Créateur lui-même, et bien digne d'être appelé frère par le Sauveur, voilà le fils, voilà l'ami. C'est ainsi que deux ou trois personnes sont assemblées dans le même lieu, c'est-à-dire dans le vrai gnostique. Il se pourrait encore que cette communauté de sentiment, exprimée par les trois personnes avec lesquelles se trouve le Seigneur, signifiât une seule Église, un seul homme, une seule race. Quand le Seigneur porta la loi, n'était-il pas avec le Juif, à l'exclusion de tout autre peuple ? Et lorsqu'il fit retentir les prophéties, lorsqu'il envoya Jérémie à Babylone, lorsqu'il appela, par la prédication, les Gentils, ne rassembla-t-il pas deux peuples ? Et le troisième, n'est-ce pas celui qui a été formé de ces deux peuples « en un seul homme nouveau dans lequel Dieu habite et marche au sein de l'Église elle-même ?» La loi ancienne, les prophètes, l'Évangile, ne se confondent-ils pas au nom du Christ dans une seule connaissance ? (gnose.) Les insensés qui, par haine, fuient le mariage, ou qui, par concupiscence, abusent sans scrupule de la chair, comme chose indifférente, ne sont donc point du nombre des élus, avec lesquels habite le Seigneur.

 

 

CHAPITRE XI.

 

Préceptes de la loi et du Christ qui défendent la concupiscence.

 

Ces principes ainsi démontrés, rappelons les passages des Écritures qui combattent les sophismes des hérétiques, et indiquons la règle d'après laquelle se gouverne la continence animée de l'esprit du Verbe. L'Écriture renferme des textes propres à la réfutation de chaque hérésie en particulier. Le fidèle qui a l'intelligence des livres saints, s'en servira, comme d'une arme judicieuse, pour réfuter les novateurs qui dogmatisent contre les commandements. Pour reprendre les choses de plus haut, la loi, comme nous l'avons déjà déclaré, prononça cet oracle : « Tu ne désireras point la femme de ton prochain, » avant que le Christ eût promulgué dans le nouveau Testament une défense semblable, en conversant avec nous sans intermédiaire : « Vous avez entendu que la loi dit : Tu ne commettras point d'adultère. Et moi, je vous dis : Vous ne convoiterez pas.» Que la loi enjoigne à l'époux d'user sobrement du mariage et uniquement dans le but de la procréation des enfants, c'est ce qui résulte manifestement de ses paroles, quand elle défend à tout homme, qui vit dans le célibat, « de s'approcher immédiatement de sa captive. Une fois qu'elle lui aura inspiré des désirs, il lui permettra de pleurer pendant trente jours, après que sa chevelure sera tombée sous les ciseaux. » Si le désir ne s'éteint pas dans le deuil et l'absence, il peut dès lors engendrer avec elle ; les mouvements qui le dominent, éprouvés par un temps limité, ne sont plus que des désirs raisonnables. Aussi ne me citerez-vous jamais, l'Écriture à la main, un seul homme de l'ancienne loi qui se soit approché d'une femme enceinte, mais vous trouverez partout que les relations conjugales n'ont été rétablies qu'après la délivrance de l'épouse et l'entier allaitement des enfants. Que dis-je ? Le père de Moïse, déjà fidèle à cette institution, n'engendre Moïse qu'après un intervalle de trois ans entre la naissance d'Aaron et celle du nouveau-né. Si j'examine la tribu de Lévi, je vois qu'elle entra dans la terre promise, inférieure en nombre aux autres tribus, pour avoir gardé rigoureusement cette loi de la nature, que Dieu nous a transmise. En effet, la population s'accroît lentement dans les races, quand les hommes ne connaissent les femmes qu'en légitime mariage et qu'ils attendent pour les rapprochements de la chair, non-seulement les derniers termes de la grossesse, mais encore ceux de l'allaitement. Voilà pourquoi Moïse, pour faire avancer les Juifs par degrés dans la continence, veut avec raison qu'ils n'entendent la parole de Dieu qu'après s'être abstenus pendant trois jours consécutifs de l'acte conjugal. « Nous sommes donc le temple de Dieu, » suivant le langage du prophète. « J'habiterai en eux et je marcherai au milieu d'eux, et je serai leur Dieu, et ils seront mon « peuple.» Mon peuple ! Pourvu que nous ayons, soit individuellement, soit, comme Église tout entière, réglé notre vie sur ses commandements. « C'est pourquoi, retirez-vous du milieu d'eux, et ne touchez point à ce qui est impur, et je vous recevrai. Je serai votre père, et vous serez mes fils et mes filles, dit le Seigneur tout-puissant.» Que prétend-il par cet oracle prophétique ? Que nous nous séparions des hommes qui ont contracté des mariages ? Nullement. Il nous prescrivait de rompre avec les gentils qui vivent encore dans la fornication, de rompre avec les hérésies que nous avons nommées plus haut, parce qu'elles sont entachées de souillure et d'impiété. De là vient que Paul aussi, s'élevant indirectement contre des doctrines semblables, écrit ces mots : « Recevez donc ces promesses, mes bien aimés ! purifions nos propres cœurs de tout ce qui souille l'esprit, achevant l'œuvre de notre sanctification, dans la crainte de Dieu. Car je vous aime pour Dieu d'un amour de jalousie, depuis que je vous ai fiancés à cet unique époux, qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui, comme une vierge toute pure.» L'Église, il est vrai, ne peut s'unir à un autre époux puisqu'elle a déjà un fiancé ; mais chacun de nous est libre d'épouser en mariage légitime la femme qu'il veut, en premières noces[1]  toutefois. « Mais je crains que comme Ève fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent pareillement et ne dégénèrent de la simplicité chrétienne, » dit l'apôtre avec une piété profonde et par forme d'enseignement. Écoutons encore l'admirable Pierre : « Je vous exhorte, mes bien aimés, étrangers et voyageurs que vous êtes eu ce monde, à vous abstenir des désirs charnels qui combattent contre l'esprit. Vivez saintement parmi les gentils, car la volonté de Dieu est que, par votre bonne vie, vous fermiez la bouche et ne laissiez rien à dire aux insensés. Vous êtes libres, non pour vous servir de votre liberté comme d'un voile qui couvre vos mauvaises actions, mais pour agir en serviteurs de Dieu.» Paul, dans son épitre aux Romains, écrit pareillement : « Une fois que nous sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché ? Le vieil homme a été crucifié dans nous avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché soit détruit, etc., etc. » Jusqu'à ces mots : « N'abandonnez pas non plus les membres de votre corps au péché pour servir d'armes d'iniquité.»

Puisque j'en suis là, il me parait bon de ne point passer outre sans faire remarquer que l'apôtre proclame le même Dieu par la loi, les prophètes et l'Évangile. Car ces mots : « Tu « ne convoiteras pas, » qui se trouvent dans l'Évangile, Paul, dans l'épitre aux Romains, les attribue à la loi, sachant bien que le Dieu qui a parlé par l'organe de la loi et des prophètes, et ce Dieu que lui-même proclame par l'Évangile, ne sont qu'un seul et même Dieu. Paul dit, en effet : « Que dirons-nous ? La loi est-elle un péché ? Loin de nous cette pensée ! Mais je n'ai connu le péché que par la loi ; » car je n'aurais point connu la convoitise, si la loi n'avait dit : « Vous ne convoiterez point.» Que si les hétérodoxes, nos adversaires, s'imaginent que Paul, par ces mots : « Je sais qu'il n'y a rien de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair ;» avait dessein d'attaquer le Créateur, qu'ils lisent les paroles qui précèdent et qui suivent. L'apôtre avait dit auparavant : « C'est le péché qui habite en moi.» Il était donc naturel de dire : « Il n'y a rien de bon dans ma chair.» En conséquence, il ajoute : « Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi,» le péché, dit-il, « qui combattant contre la loi de Dieu et de mon esprit, me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort?» Et de plus (car il ne se lasse jamais de nous venir en aide de toute manière), il ne craint pas d'ajouter, par forme de conclusion : «La loi de l'esprit m'affranchit de la loi du péché et de la mort, puisque Dieu, par son fils, a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous, qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l'esprit.» En outre, expliquant encore ce qu'il a déjà dit, il s'écrie : «Le corps est mort à cause du péché ;» montrant ainsi que le corps n'est pas le temple, mais le sépulcre de l'âme. « Car, depuis qu'il a été consacré à Dieu, l'esprit de celui qui a ressuscité le Christ, ajoute Paul, habite en vous, et rendra la vie à vos corps mortels, à cause de son esprit qui habite en vous. » Puis reprenant encore une fois les voluptueux : « L'amour des choses de la chair est la mort, dit-il, parce que ceux qui vivent selon la chair, aiment et goûtent les choses de la chair ; et l'amour des choses de la chair est ennemi de Dieu, parce qu'il n'est point soumis à la loi de Dieu. Ceux qui sont charnels,» non comme l'entendent plusieurs hérétiques, mais comme nous l'avons expliqué nous-mêmes, ne peuvent plaire à Dieu. Pour distinguer ces hommes charnels des autres, il dit à l'Église : « Pour vous, vous ne vivez point selon la chair, mais selon l'esprit ; si toutefois l'esprit de Dieu est en vous : or, celui qui n'a pas l'esprit de Jésus-Christ, n'est point à lui. Mais si Jésus-Christ est en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l'esprit est vivant à cause de la justice. Ainsi, mes frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair. Que si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si vous faites mourir par l'esprit les passions de la chair, vous vivrez ; car tous ceux qui sont poussés par l'esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. » Puis, condamnant indirectement cette prétendue noblesse et cette royale indépendance, si honteusement proclamée par des hommes qui tirent vanité de leurs dissolutions, il ajoute : «Aussi n'avez-vous point reçu l'esprit de servitude, pour vous conduire encore par la crainte, mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants, par lequel nous crions mon Père, mon Père ! » Nous l'avons reçu ! qu'est-ce à dire ? afin de connaître celui auquel nous adressons nos prières, le père véritable, le père unique de toutes les Créatures, celui qui comme un père, nous forme au salut par les leçons de l'enseignement et les menaces de la crainte.

 

 

CHAPITRE XII.

 

Il explique plusieurs passages de saint Paul et des saintes Écritures.

 

Ce passage : « Les époux qui, d'un consentement mutuel, vaquent pour un temps à la prière, » est pour nous une règle de continence. Car l'apôtre ajoute ces mots d'un consentement mutuel, afin que personne ne soit tenté de rompre les liens du mariage ; pour un temps, de peur que le mari, lié par une continence forcée, ne tombe dans la prévarication, et qu'en épargnant la couche conjugale, il ne convoite celle d'autrui. Voilà pourquoi Paul dit ailleurs : « Si quelqu'un croit qu'il est honteux pour lui de garder sa fille sans la marier, il peut la donner en mariage. » Mais la résolution, soit de rester vierge, soit de s'engager dans les liens du mariage, une fois arrêtée, doit persévérer inébranlable, sans jamais incliner à la faiblesse. Si la chasteté parvient à se raidir contre la chair, dans le régime qu'elle a embrassé, elle croit en dignité auprès du Seigneur, par cette continence pleine de pureté et conforme à l'esprit du Verbe. Vient-elle, au contraire, à tomber des hauteurs de la règle, elle se relève dans les bras de l'espérance pour monter à une gloire plus belle. Ainsi que la virginité, le mariage a ses désirs et ses fonctions spéciales, honorables aux yeux du Seigneur, je veux dire, le soin et l'entretien de la femme et des enfants. Car les relations habituelles du lien conjugal font de l'époux parfait une sorte de providence qui veille à tous les besoins de la communauté. Voilà pourquoi il faut, dit l'apôtre, n'instituer évêques que ceux qui se sont préparés, par le gouvernement de la famille, au gouvernement de l'Église entière. « Que chacun accomplisse donc son œuvre dans le ministère qu'il remplissait lorsqu'il a été appelé, » afin qu'il devienne libre en Jésus-Christ, et qu'il reçoive la récompense due à son ministère. Et ailleurs, à l'occasion de la loi, l'apôtre dit encore par figure : « Ainsi une femme mariée est liée par la loi à son mari, tant qu'il est vivant ; etc... » Il dit encore : « La femme est liée tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre de se marier, pourvu que ce soit selon le Seigneur. Néanmoins, elle sera heureuse si elle demeure veuve, et c'est ce que je lui conseille. » Dans la première proposition, l'apôtre nous dit : « Vous êtes morts à la loi, » et non au mariage comme le veulent nos adversaires, « pour être la fiancée et l'Église d'un autre qui est ressuscité d'entre les morts. » Fiancée, Église qui doit fermer son cœur à toutes les pensées contraires à la vérité ; ses oreilles, à toutes les hérésies qui nous poussent à délaisser notre époux unique, le Tout-Puissant, pour nous prostituer ailleurs ! Sans cette vigilance, trompés par les pièges de l'hérésie, comme autrefois Ève, surnommée la Vie, nous transgresserions les commandements. Le second verset prescrit le mariage unique ; mais, il ne faut pas croire, avec plusieurs, que l'apôtre ait voulu dire que le lien de la femme avec l'homme est l'union de la chair avec la mort. Nullement ; il s'élève contre l'opinion des Impies, qui osent attribuer au démon l'institution du mariage, et livrent le nom du législateur véritable aux blasphèmes des païens. Tatien de Syrie n'a pas craint de professer ces doctrines. Il écrit, dans son livre De la perfection selon le Sauveur : « L'apôtre applique le consentement à la prière ; mais la communauté de la mort et de la corruption rompt tout commerce avec Dieu. Sa prudente concession n'est qu'un avertissement de nous abstenir. Car, en permettant aux époux de vivre encore ensemble, à cause de Satan et de l'incontinence, il déclare que profiter de cette permission c'est servir deux maîtres ; Dieu, par le consentement ; l'incontinence, la fornication, le démon, par la dissidence. »

 

C'est ainsi que Tatien interprète les paroles de l'apôtre. Mais, en appelant ce qui n'est pas au secours de ce qui est, il nous donne des sophismes pour la vérité. Nous aussi, nous convenons que l'incontinence et la fornication sont des suggestions de Satan ; mais le consentement, intervenant dans un mariage pudique, porte les deux époux, ici, à la prière par la continence ; là, les rapproche réciproquement dans de chastes nœuds, pour la génération des enfants.

 

Il n'en faut point douter ; l'Écriture donne au temps de la procréation le nom de connaissance, lorsque nous lisons : « Adam connut Ève, sa femme, laquelle conçut et enfanta un fils, en disant : Le Dieu m'a donné un autre fils au lieu d'Abel. » Comprenez-vous maintenant à qui s'attaquent les blasphémateurs qui ont en abomination les chastes relations de la chair, et qui attribuent au démon l'œuvre de la génération ? Moïse ne dit pas simplement Dieu ; mais en faisant précéder ce mot de l'article le, il désigne celui auquel appartient la toute-puissance. Ces mots ajoutés par l'apôtre : « Et de nouveau vivez ensemble comme auparavant, à cause de Satan, » n'ont pour objet que de retrancher d'avance dans notre cœur toute convoitise étrangère. Car ce consentement pudique de se refuser pour un temps l'un à l'autre, ne repousse pas à tout jamais comme honteux les appétits de la nature, puisque c'est par le consentement que l'apôtre rapproche de nouveau les deux époux, non pour qu'ils se livrent à l'incontinence, à la fornication et aux œuvres du démon, mais de peur qu'ils ne succombent à l'incontinence, à la fornication, aux attaques du démon.

 

Tatien distingue encore l'homme ancien de l'homme nouveau, mais dans un autre sens que nous. D'accord avec lui, nous entendons par l'homme ancien, la loi de Moïse ; par l'homme nouveau, l'Évangile. Mais où nous différons, c'est quand il abroge la loi ancienne comme émanant d'un autre Dieu. Selon nous, l'Homme-Dieu, renouvelant ce qui était suranné, ne permet plus la polygamie que Dieu lui-même exigeait, quand elle était nécessaire à ses desseins pour l'accroissement et la multiplication des hommes. Mais le Seigneur, en conservant le mariage pour la propagation de l'espèce, et pour le soin de la maison où la femme apporte son assistance, établit qu'on ne se mariera qu'une fois, bien que la condescendance de l'apôtre, afin d'empêcher quelques-uns de brûler ou de tomber dans l'incontinence, leur accorde la faveur d'un second mariage. Toutefois, l'homme qui contracte une seconde union, ne pèche pas aux termes de la nouvelle alliance ; la loi ne la lui interdit pas ; seulement il n'atteint pas à cette haute perfection que propose l'Évangile. Au contraire, quelle gloire n'acquiert-on pas dans les cieux, lorsque, renfermé en soi-même, on conserve pur le lien qu'a brisé la mort, et qu'on accepte résolument et avec reconnaissance cette viduité qui consacre toutes les facultés de l'homme au sacerdoce du Seigneur ?

 

La divine sagesse n’ordonne pas davantage, par la bouche du Seigneur, que l'époux, au sortir du lit conjugal, recoure à la coutume des ablutions antiques ; car le Seigneur ne contraint pas les fidèles à s'abstenir de la génération. Par un baptême unique, il purifie pour toute la durée des rapprochements charnels les serviteurs qui lui appartiennent, renfermant dans une seule immersion les nombreuses ablutions de Moïse. La loi ancienne, qui cachait dès l'origine le symbole de notre régénération future sous la génération charnelle, associait son baptême à la faculté génératrice de la semence humaine, comme pour attester qu'elle n'avait pas la procréation en horreur. En effet, l'homme tout entier est contenu dans le germe primordial. Ce qui constitue la génération, ce n'est pas le nombre des actes de la chair, mais la fécondation du laboratoire de la nature où la semence s'épaissit en embryon. Je le demande, comment le mariage institué par la loi serait-il le seul mariage ? Comment celui de Moïse et celui du Christ seraient-ils en opposition puisque nous avons conservé le même Dieu ? L'homme n'a point autorité pour dissoudre ce que Dieu a joint. À plus forte raison le fils maintiendra-t-il les institutions du père. Et si la loi et l'Évangile émanent du même législateur, il est donc d'accord avec lui-même ; car la loi vit, spirituelle qu'elle est et comprise dans son sens mystique. Mais nous, nous sommes morts à la loi par le corps de Jésus-Christ, pour être à un autre maître qui est ressuscité d'entre les morts, et dont l'avènement a été prédit par la loi, afin que nous portions des fruits pour Dieu. Voilà pourquoi la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. Nous sommes donc morts à la loi, qu'est-ce à dire ? morts au péché que manifeste la loi, que la loi n'engendre pas, mais qu'elle met en lumière, ici, par le précepte, là, par la prohibition, reprenant le péché présent, afin qu'il nous apparaisse comme prévarication.

 

Le mariage établi par la loi est un péché, dites-vous ? — Je ne sais plus, dès-lors, comment on peut se glorifier de connaître Dieu, puisque cela revient à dire que Dieu commande le péché. Si la loi est sainte, saint aussi est le mariage. L'apôtre applique donc ce sacrement à l'union mystique de Jésus-Christ et de l'Église : « De même que ce qui est né de la chair est chair, ainsi ce qui est né de l'esprit est esprit, » dans le double enfantement soit de la chair, soit de l'intelligence. Conséquemment, ce sont des enfants saints et agréables à Dieu, que les paroles du Seigneur, par lesquelles ont été consommées les fiançailles de notre âme. Rien donc de commun entre la fornication et le mariage, puisqu'il y a loin de Satan à Dieu. « C'est pourquoi vous êtes vous-mêmes morts à la loi par le corps de Jésus-Christ, pour être à un autre, qui est ressuscité d'entre les morts. » Mais, en même temps, il est entendu par là : Si vous avez été obéissants ; puisque, d'après la vérité de la loi, nous obéissons au même Seigneur qui nous a parlé dans les deux Testaments. L'Esprit saint a donc raison quand il désigne ouvertement ces docteurs de mensonges : « Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi pour suivre des esprits d'erreur, des doctrines de démons et des imposteurs pleins d'hypocrisie, qui auront la conscience cautérisée, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes que Dieu a créées pour être mangées avec actions de grâces par les fidèles et par ceux qui connaissent la vérité. Tout ce que Dieu a créé est bon, et l'on ne doit rejeter aucune des choses qui peuvent être prises avec actions de grâces, parce qu'elles sont sanctifiées par la parole de Dieu et par la prière. » Il n'est donc pas nécessaire de prohiber le mariage, les viandes et le vin ; car il est écrit : « Il est bon de ne point manger de chair, ni de boire de vin, si on le fait avec scandale ; et il est bon de demeurer dans l'état où je suis moi-même. » Toutefois, que celui qui ne s'abstient pas rende grâces au Seigneur comme celui qui s'abstient, usant du mariage avec tempérance et dans l'esprit du Verbe. En somme, toutes les épitres où l'apôtre nous enseigne la modération et la continence, renferment sur le mariage, sur la procréation des enfants, sur le gouvernement de la famille, une foule de préceptes. Nulle part je ne les vois prohiber l'union conjugale que règle la chasteté. Loin de là ! fidèles à l'harmonie qui règne entre la loi et l'Évangile, elles admettent également, et celui qui use du mariage avec tempérance, en rendant grâces à Dieu, et celui qui s'impose la continence que désire le Seigneur, chacun selon qu'il a été appelé, irréprochable et pur dans son choix. « La terre de Jacob était louée au-dessus de toute autre, dit le prophète, pour glorifier le sanctuaire de l'esprit qui l'inspirait. »

 

«Ne me parlez pas de la génération, dit je ne sais quel hérétique. Elle donne le jour à des enfants qui naissent pour la corruption et la mort. » Et ici, par une interprétation forcée, il veut que le Sauveur ait fait allusion à la procréation des enfants quand il a dit : « N'amassez pas des trésors sur la terre, où la rouille et les vers les dévorent. » Il ne rougit pas d'attribuer le même sens à ces paroles du prophète : « Vous tous, vous vieillirez comme un vêtement et vous serez la pâture des vers. » Assurément nous n'imaginons pas de contredire les Écritures, en niant que nos corps soient d'une nature corruptible et caduque ; mais ne serait-il pas possible que le prophète adressât cette menace aux pécheurs avec lesquels il s'entretenait ? Quant au Seigneur, loin de songer à condamner la procréation des enfants, il avait en vue d'exhorter à l'aumône et à la charité ceux qui ne s'occupent que d'amasser, sans vouloir secourir les indigents. « Travaillez, dit-il, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle. »

 

On s'arme encore de cette parole du Christ sur la résurrection des morts : « Les enfants de ce siècle n'épousent pas de femmes, ni les femmes de maris. » Mais qu'on se rappelle et la nature de l'interrogation et le caractère de ceux qui interrogeaient, on reconnaîtra que, loin de rejeter le mariage, le Seigneur guérit ceux qui le questionnent du grossier espoir qu'ils se plaisaient à nourrir jusqu'après la résurrection. Ces mots : « Les enfants de ce siècle, » le Christ ne les a pas prononcés pour les appliquer spécialement aux enfants de quelque autre siècle ; c'est comme s'il avait dit : « Ceux qui sont nés dans ce siècle, fils de la génération, engendrent et sont engendrés, puisque nul, sans la génération ne peut franchir les limites de cette vie ; mais la faculté de se reproduire, périssable comme l'homme, lui est refusée une fois que l'existence lui a échappé. » Nous n'avons donc qu'un seul père qui est dans les cieux ; mais qui, par la création, est lui-même le père de toutes choses. « N'appelez sur la terre personne votre père, dit le Seigneur ; » c'était nous dire : « N'imaginez pas que l'homme, par qui vous avez été engendrés selon la chair, soit l'auteur de votre être ; il n'a été que l'auxiliaire, ou plutôt le ministre de votre naissance. » Ainsi donc, il veut que, convertis au Seigneur, nous redevenions comme des enfants qui reconnaissent leur véritable père, régénérés qu'ils sont par l'eau du baptême, autre création dans la création.

 

Mais l'apôtre dit : « Celui qui n'est point marié s'occupe du soin des choses du Seigneur, celui qui est marié, au contraire, s'occupe de plaire à sa femme. » — Quoi donc ? Celui qui plait, selon le Seigneur, à sa femme, ne peut-il pas rendre grâces à Dieu ? Tout marié qu'il est, ne peut-il pas vaquer en même temps au soin de la famille et aux œuvres du Seigneur ? Or, de même qu'une « femme qui n'est point mariée s'occupe du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'esprit, » ainsi celle qui a un époux s'occupe dans le Seigneur du soin des choses qui regardent son époux, et du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'esprit. Toutes les deux sont saintes dans le Seigneur, l'une comme épouse, l'autre comme vierge.

 

L'apôtre, pour la honte et la répression de ceux qui ont du penchant aux secondes noces, s'écrie d'une voix haute, mais juste : « Tout péché est hors du corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps. » Soutenir encore que le mariage est une fornication, je le répète, c'est blasphémer la loi et le Seigneur ; car, de même qu'on nomme fornication la soif des richesses, parce qu'elle est l'ennemie d'une sage modération ; de même que l'idolâtrie consiste à partager l'unité divine en plusieurs dieux, ainsi la fornication passe d'un seul mariage à plusieurs mariages. N'avons-nous pas déjà vu l'apôtre distinguer trois sortes de fornication et d'adultère ? Le prophète y fait allusion dans ces mots : « Vous avez été vendus à vos péchés ; » et encore : « Vous vous êtes souillés sur une terre étrangère, » réputant criminelle toute union de la chair avec une femme autre que celle qui est donnée à l'homme par le mariage pour en avoir des enfants. De là aussi ce langage de l'apôtre : « J'aime mieux que les jeunes filles se marient, qu'elles aient des enfants, qu'elles soient mères de famille, et qu'elles ne fournissent à nos ennemis aucune occasion de parler de nous ; car il y en a déjà quelques-unes qui se sont égarées pour suivre Satan. » Il y a mieux. L'apôtre accueille avec faveur quiconque ne s'est marié qu'une fois, prêtre, diacre, laïque, usant du mariage d'une manière irréprochable : « Il se sanctifiera par les enfants qu'il mettra au monde. »

 

Quand le Seigneur nomme les Juifs génération mauvaise et adultère, il nous enseigne qu'au lieu de comprendre la loi comme la loi veut être entendue, « ils suivaient la tradition des anciens et les commandements des hommes, » se prostituant à une loi étrangère, et infidèles à celle qui leur avait été donnée comme maitresse et gardienne de leur virginité. Peut-être aussi le Seigneur les voit-il asservis aux désirs étrangers par lesquels ils passaient de l'esclavage du péché à la captivité chez les nations étrangères. La législation juive, en effet, loin d'admettre la communauté des femmes, défendait l'adultère. Cette parabole qui dit : « J'ai épousé une femme ; je ne puis aller au banquet divin, » est un exemple bien fait pour condamner ceux que leurs plaisirs éloignent de l'observation des commandements. Si la vérité était du côté de nos adversaires, ni les justes qui précédèrent l'avènement du Seigneur, ni ceux qui se marièrent depuis, ne seraient sauvés, fussent-ils apôtres. Que s'ils s'appuyaient enfin sur cette parole du prophète ; « Je me suis consumé au milieu de mes ennemis, » répondons-leur que ces ennemis sont les péchés. Oui, il y a un péché, ce n'est pas le mariage, mais la fornication ; si je me trompe, qu'ils continuent d'appeler péché la génération et l'auteur de la génération !

 

 

CHAPITRE XIII.

 

Réponse à Jules Cassien et à un passage que celui-ci avait puisé dans un évangile apocryphe.

 

J'arrive à Jules Cassien, chef de la secte des Docètes. Il s'exprime comme il suit dans son livre de la Continence ou de la Chasteté : «Qu'on ne vienne pas me dire que l'homme, étant conformé d'une certaine manière, et la femme d'une autre, pour engendrer, la femme pour concevoir, les rapprochements de la chair sont permis par Dieu. Si cette institution émanait vraiment du Dieu vers lequel nous avons hâte d'arriver, eût-il dit : Heureux les eunuques ! Ces paroles seraient-elles sorties de la bouche du prophète ? Les eunuques ne sont point un arbre sans fruit, prenant ainsi métaphoriquement l'arbre pour l'homme que sa volonté a fait eunuque de toute pensée charnelle ? Défenseur de sa doctrine impie, Cassien ajoute : « Qui ne serait en droit de faire alors le procès au Sauveur pour avoir transformé notre être, et nous avoir affranchis de l'erreur et des sens par lesquels les deux sexes se rapprochent et s'unissent ? » Ici Tatien, sorti de l'école de Valentin, s'accorde avec Cassien. L'hérétique poursuit : « Salomé demande au Seigneur quand viendra le temps où seront connus les mystères sur lesquels elle l'interroge. — Lorsque vous aurez foulé aux pieds le vêtement de la pudeur, répond le Christ, lorsque les deux ne feront qu'un, le mâle et la femelle, et qu'il n'y aura plus ni mâle ni femelle. »

D'abord les quatre Évangiles qui nous ont été transmis ne renferment pas ce passage : il ne se trouve que dans l'Évangile selon les Égyptiens. Ensuite, Cassien me semble ignorer que les appétits du mâle signifient la colère, et ceux de la femelle, le désir, qui, transformés en actes, ont pour conséquence le repentir et la honte. Lorsque cessant de flatter la colère et le désir, qui, fortifiés par l'habitude et une éducation vicieuse, couvrent d'épaisses ténèbres la lumière de l'intelligence, on dissipe, sous l'influence du repentir, ces vapeurs grossières, et que l'on recueille son âme pour la concentrer en un point unique, dans l'obéissance au Verbe ; c'est alors que suivant le langage de Paul, il n'y a plus en nous ni homme ni femme. L'âme, se dégageant de l'enveloppe charnelle par laquelle on distingue les sexes, passe à l'état d'unité, et n'est plus ni mâle ni femelle. L'illustre Cassien se rapproche trop ici du sentiment de Platon, lorsqu'il affirme que l'âme, divine dans son principe, mais efféminée par le désir, descend ici-bas pour la génération et pour la mort.

 

 

CHAPITRE XIV.

 

Il explique quelques passages de saint Paul.

 

Mais ne voilà-t-il pas que l'hérésiarque, par une interprétation forcée, contraint l'apôtre d'attribuer malgré lui la génération à la chute primitive dans le passage suivant. « Je crains que, comme Ève fut séduite par le serpent, vos esprits, de même, ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité chrétienne. »

 

Il est plus vrai de dire, avec tous, que le Seigneur est venu vers ce qui était égaré ; égaré, non pas de la demeure céleste pour tomber dans l'œuvre terrestre de la génération ; la génération est elle-même une institution du Tout-Puissant, qui n'eût jamais précipité l'âme d'un état de félicité pour la plonger dans une situation inférieure ; c'est pour sauver ceux qui s'égaraient dans leurs pensées ; c'est vers nous que le Seigneur est descendu. Nos pensées avaient été corrompues par la violation des commandements, avides que nous étions de voluptés, et fils d'un père prévaricateur, qui, devançant le temps marqué, avait convoité prématurément les douceurs du mariage. En effet, « quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cœur, » pour n'avoir pas attendu le temps marqué par la volonté divine. C'était donc le même Seigneur qui alors condamnait aussi les désirs prématurés. L'apôtre, en nous disant : « Revêtez-vous de l'homme nouveau, qui est créé à la ressemblance de Dieu, » s'adresse à nous, que la volonté du Tout-Puissant a faits tels que nous avons été faits. Toutefois, par le mot de vieil homme, Paul n'entend ni la génération, ni la régénération ; il parle de la vie de désobéissance et de la vie de révolte. Cassien veut que les tuniques de peau soient le corps. Sur ce point, il s'est trompé, lui et ceux qui ont embrassé la même opinion. Nous le prouverons plus tard, lorsque, amené par une discussion qu'il faut placer auparavant, nous aborderons la naissance de l'homme. « Car, dit-il, ceux qui sont assujettis aux choses de la terre, engendrent et sont engendrés ; mais nous, nous vivons déjà dans le ciel ; c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur. » Paroles pleines de sens, nous le savons aussi, et où nos devoirs sont tracés ! Étrangers et voyageurs ici-bas, il nous faut vivre comme des étrangers et des voyageurs ; dans le mariage, comme n'étant pas mariés ; possédant, comme ne possédant pas ; engendrant des enfants, comme engendrant des êtres destinés à mourir ; disposés à abandonner tout ce qui est à nous ; prêts à vivre sans femme, s'il est besoin ; n'apportant que des désirs modérés dans l'usage des créatures ; n'en usant qu'avec actions de grâces, les yeux de l'âme toujours fixés sur nos hautes destinées.

 

 

CHAPITRE XV.

 

Il explique plusieurs autres passages des saintes Écritures.

 

Lorsque l'apôtre dit encore : « Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme ; mais, pour éviter la fornication, que chaque homme vive avec sa femme,» il ajoute, comme pour expliquer ses paroles : « De peur que Satan ne vous tente.» Est-ce à ceux qui usent avec tempérance du mariage, et dans l'unique but de la génération, qu'il adresse ces mots : «À cause de votre incontinence ? » Non sans doute ; il les dit pour ceux qui veulent s'affranchir des œuvres de la génération elle-même. Il craint que le démon en les encourageant par son assentiment perfide, ne soulève en eux les flots de la concupiscence, pour les précipiter dans des voluptés étrangères. Peut-être aussi que jaloux et opiniâtre antagoniste de ceux qui pratiquent la justice, l'adversaire essaie de les attirer dans ses rangs par ce piège, et leur fournit une occasion de chute dans une continence pleine de labeurs. L'apôtre a donc raison de dire : « Il vaut mieux se marier que de brûler,» afin que le mari rendant à sa femme ce qu'il lui doit et la femme ce qu'elle doit à son mari, ils ne se frustrent ni l'un ni l'autre de ce divin secours donné pour la reproduction de l'homme. 

— Mais le Seigneur a dit : « Quiconque ne hait point son père et sa mère, ou sa femme et ses enfants, ne peut être mon disciple.»

Le Seigneur n'ordonne point par là de haïr sa propre famille. N'est-ce point lui qui a prononcé cet oracle ? « Honore ton père et ta mère, afin que tout prospère pour toi.» Il veut nous dire seulement : ne vous laissez point entraîner à des désirs contraires à la raison, et fuyez tout contact avec les mœurs étrangères ; car la famille se maintient par la race et la cité par la famille. C'est ainsi que Paul dit également, « que ceux qui s'occupent des choses du mariage plaisent au monde.» Il dit ailleurs : « Si vous êtes marié, ne repoussez point votre épouse ; si vous ne l'êtes pas, ne vous mariez pas.» C'est-à-dire, vous qui, dans un but de chasteté, avez fait vœu de ne point vous marier, persévérez dans le célibat. Le Seigneur vous fait à l'un et à l'autre des promesses analogues, par la bouche du prophète Isaïe : « Eunuque, ne t'écrie plus : je ne suis qu'un bois aride ; car le Seigneur dit aux eunuques : si vous gardez le sabbat que j'ai établi, si vous accomplissez tout ce que j'ai commandé, je vous donnerai une place d'un plus grand prix que des fils et des filles.» Qu'importe, en effet, la chasteté ? Qu'importe le sabbat de l'eunuque ? Il faut encore pour sa justification qu'il observe les commandements.

 

« Les élus ne travailleront pas en vain ; les femmes n'enfanteront plus dans la malédiction, parce que leur postérité a été bénie par le Seigneur. » C'est qu'à l'homme qui, animé de l'esprit du Verbe, a procrée, instruit, élevé des enfants dans le Seigneur, comme aussi à celui qui a engendré spirituellement, par la parole et l'enseignement véritable, une récompense est promise, comme à une race de bénédiction et d'élection.

 

Selon quelques-uns, le mot malédiction est ici le synonyme de procréation des enfants. Insensés qui ne comprennent pas que c'est à eux-mêmes que l'Écriture applique cet anathème ! En effet, les vrais élus du Seigneur n'engendrent ni dogmes, ni enfants de malédiction, à la manière de l'hérésie. Le mot eunuque, dans la bouche du Seigneur, ne signifie donc pas celui que le fer a mutilé par la violence, ni même celui qui persévère dans le célibat, mais l'esprit stérile qui ne peut enfanter la vérité. Tout à l'heure ce n'était qu'un bois aride ; voilà qu'il a prêté l'oreille au Verbe, qu'il a gardé le sabbat, en renonçant au péché ; qu'il a été fidèle aux commandements : il sera plus élevé en dignité que ceux qui se sont bornés à recevoir l'enseignement de la parole, sans y joindre la régularité de la vie.

 

« Mes petits enfants, dit le maître, encore un peu de temps je suis avec vous. » Voilà pourquoi Paul, dans l'épître aux Galates, dit à son tour : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. » Puis, dans l'épître aux Corinthiens : « Quand vous auriez dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n'avez pas néanmoins plusieurs pères, puisque c'est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l'Évangile. » Aussi l'eunuque n'entrera-t-il point dans l'assemblée du Seigneur, c'est-à-dire, celui dont la conduite et les discours ne portent point de fruits. « Mais ceux qui se sont faits eunuques eux-mêmes » de tout péché, à cause du royaume de Dieu, ceux-là sont les heureux qui jeûnent de toutes les choses de la terre.

 

 

CHAPITRE XVI.

 

Il explique divers autres passages des saints livres.

 

« Maudit soit le jour où je suis né, et qu'il ne soit pas béni ! » s'écrie Jérémie. Le prophète ne charge pas ici d'imprécations la naissance ; dans l'indignation qui l'entraîne, il ne peut supporter le spectacle des prévarications et de la révolte d'Israël. Aussi ajoute-t-il : « Pourquoi ai-je été enfanté pour voir le travail et la douleur, et pour consumer mes jours dans l'opprobre ? » À cette époque, tous ceux qui prêchaient la vérité, poursuivis par l'indocilité des auditeurs, étaient livrés sur le champ à la colère publique. « Pourquoi, s'écrie le prophète Esdras, les flancs de ma mère ne sont-ils pas devenus mon sépulcre, afin que je ne visse pas l'affliction de Jacob et le travail de la race d'Israël ? » « Nul n'est sorti pur d'une source impure, dit Job, sa vie ne durât-elle qu'un jour.» Mais qu'on nous dise où l'enfant qui vient de naître aurait pu pécher, et, comment, sans avoir rien fait, il a pu tomber sous la malédiction d'Adam. Conséquemment, il ne reste plus, ce semble, à nos adversaires, d'autre parti que de déclarer mauvaise non-seulement la naissance du corps, mais aussi la naissance de l'âme, pour laquelle le corps existe. Quand David s'écrie : « J'ai été conçu dans le péché, et ma mère m'a enfanté dans l'iniquité, » le prophète appelle Ève du nom de mère. Ève, en effet, fut la mère des vivants ; et si lui-même fut conçu dans le péché, il n'est donc pas pécheur par lui-même au moment de sa naissance, il n'est donc pas lui-même le péché. Mais que tout homme, en passant du péché à la foi, se détache des liens du péché comme l'enfant brise le sein maternel pour arriver à la vie, je ne veux en témoignage de cette vérité, que ces mots de l'un des douze prophètes : « Donnerai-je pour mon impiété mon premier fils, s'écrie-t-il, et pour le péché de mon âme le fruit de mes entrailles ? » Loin d'accuser celui qui a dit : « Croissez, et multipliez-vous, » il flétrit du nom d'impiété, les premières impulsions qui suivent notre naissance charnelle, et sous l'empire desquelles nous ne connaissons pas Dieu. Si la génération est mauvaise, envisagée de ce côté, elle est bonne, en tant que par elle nous connaissons la vérité en Dieu. « Tenez-vous dans la vigilance de la justice et gardez-vous de tout péché ; car il y en a quelques-uns parmi vous qui ne connaissent point Dieu. » Ce sont les pécheurs. « Nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les esprits. » Or, les princes des ténèbres ont le pouvoir de nous tenter ; c'est pour cela que le pardon nous est offert. Voilà pourquoi Paul dit aussi : « Je châtie rudement mon corps et le réduis en servitude. » Voyez, en effet, l'athlète ! Il pratique une sévère continence, non pas une abstinence générale, mais une modération qui n'use qu'avec réserve de ce qu'elle croit devoir se permettre ; et cependant à quoi aspire-t-il ? à une couronne corruptible, tandis que nous combattons, nous, pour une couronne incorruptible, vainqueurs dans la lutte, mais vainqueurs couverts de sueur et de poussière. Dans cette lutte généreuse, il en est qui donnent à la veuve la palme de la continence préférablement à la vierge : la veuve s'est élevée avec le dédain d'une grande âme au-dessus des voluptés qu'elle a connues.

 

 

CHAPITRE XVII.

 

Soutenir que le mariage et la génération sont chose mauvaise, c'est attaquer l'œuvre de Dieu et le don même de l'Évangile.

 

La génération est un mal, dites-vous ? — Soutenez donc alors que le Seigneur a passé par la souillure du mal, puisqu'il est né par la voie de la génération ; que la Vierge a passé par la souillure du mal, puisqu'elle a enfanté. Hélas ! quel déluge de maux ! En s'attaquant à la génération, l'hérésie se soulève contre la volonté du Dieu, et blasphème le mystère de la création. De là, un Cassien, soutenant que nos corps sont de vaines apparences ; de là, un Marcion, un Valentin, affirmant qu'il n'y a dans l'homme rien que d'animal, parce que, selon eux, en touchant à l'œuvre de la chair, il s'assimile aux animaux. Assurément, lorsque précipité en aveugle par la passion, il se rue sur des voluptés étrangères, il descend véritablement au niveau de la brute. « Ils sont devenus, dit l’Écriture, comme des chevaux enflammés qui courent et hennissent après les cavales : chacun a poursuivi la femme de « son prochain. »

Avancer que le serpent, empruntant aux animaux privés de raison ses machinations contre l'homme, réussit à persuader Adam de s'unir à Ève par les liens de la chair, sans quoi nos premiers parents n'auraient jamais connu ces fonctions naturelles, ainsi que le veulent plusieurs ; c'est encore attacher le blâme à la création, et lui adresser le reproche d'avoir fait l'homme plus faible que la brute, dont le roi de l'univers aurait suivi les grossiers exemples. Toutefois, je vous l'accorde, la nature a poussé nos premiers parents à l'œuvre de la génération ; séduits par les suggestions de l'ennemi, entraînés par la fougue de la jeunesse, ils ont obéi, plutôt qu'il ne convenait, aux instincts de la chair. Qu'arrivera-t-il ? La condamnation que Dieu prononça contre eux est donc juste, puisqu'ils devancèrent ses ordres. En second lieu, la génération est donc sainte, puisque par elle le monde existe ; par elle les essences, par elle les nations, par elle les anges, par elle les puissances, par elle les âmes, par elle les préceptes, par elle la loi, par elle l'Évangile, par elle, enfin, la connaissance de Dieu. « Toute chair est comme l'herbe, et sa beauté ressemble à la fleur des champs. L'herbe sèche, la fleur tombe ; mais la parole de Dieu reste ; » la parole qui s'est répandue sur l'âme, à la manière d'une huile sainte, et qui l'a unie étroitement à l'esprit. Sans le corps, comment la divine économie de l'Église eût-elle été conduite à sa fin, puisque le Seigneur lui-même, chef de l'Église, vécut ici-bas dans la prison de la chair, obscur et sans gloire devant les hommes, pour nous apprendre à ne tourner les yeux que vers l'essence incorporelle et invisible de la cause première, qui est Dieu. « Dans le bon désir, dit le prophète, est un arbre de vie ; » pour nous apprendre que les désirs honnêtes et purs sont dans le Dieu vivant. À cette occasion, les hérétiques ne veulent-ils pas encore que le commerce légitime de l'époux et de l'épouse soit un péché ! Selon eux, ce commerce désigné par l'action de manger du fruit de l'arbre du bien et du mal, est exprimé par ce mot, il connut, qui indique la transgression du commandement divin. Mais si cette explication est plausible, la connaissance de la vérité est aussi l'action de manger du fruit de l'arbre de vie. Un mariage que règlent la tempérance et la chasteté peut donc participer à ce bois. Mais déjà la loi nous a dit que l'homme a la faculté d'user bien ou mal du mariage. Voilà l'arbre de la connaissance pour lui ; c'est de ne point violer les lois de l'union conjugale. Mais quoi ! notre Sauveur lui-même n'a-t-il pas guéri les maladies du corps comme les maladies de l'âme ? Si le corps était l'ennemi nécessaire de l'âme, eût-il fortifié la chair contre l'âme en rendant à la première sa vigueur et sa santé ? « Je veux dire, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu, et que la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible. » En effet, entre le péché, œuvre de corruption, et l'héritage incorruptible, c'est-à-dire la justice, que peut-il y avoir de commun ? « Êtes-vous si dépourvus de sens, dit l'apôtre, qu'après avoir commencé par l'esprit, vous prétendiez maintenant arriver à la perfection par la chair ? »

 

 

CHAPITRE XVIII.

 

Deux opinions extrêmes à fuir également : l'opinion de ceux qui s'abstiennent du mariage par haine du Créateur, et l'opinion de ceux qui prennent occasion du mariage pour se livrer aux dissolutions.

 

Parmi les hérétiques, les uns, ainsi que nous l'avons prouvé, ont exagéré les œuvres de la justice et du salut, comme un instrument que l'on monte à un ton trop élevé. Ils ont admis la continence, mais en partant d'un principe blasphématoire et impie, lorsqu'il fallait choisir pieusement la chasteté qui se gouverne d'après les règles d'une saine raison, remerciant Dieu de la faveur qu'il leur avait accordée, se gardant bien de haïr la créature, ni de mépriser ceux qui sont engagés dans le mariage. En effet, le monde a été créé, la virginité a été créée ; au monde et à la virginité, par conséquent, de rendre grâces à Dieu dans l'état où chacun a été placé, pourvu que chacun en connaisse bien les règles et les charges. Les autres, au contraire, lâchant la bride à la passion, se sont jetés dans tous les excès ; « chevaux enflammés, courant et hennissant après les cavales, chacun d'eux a poursuivi la femme de son prochain ; » incapables de se commander à eux-mêmes, engageant les autres à n'avoir souci que de la volupté, et interprétant d'une manière déplorable ce texte sacré : « Mets ton héritage au milieu de nous ; n'ayons qu'une ceinture et qu'une bourse.» C'est pour nous prémunir contre eux que le même prophète nous dit : « Ne marchez pas avec eux ; détournez vos pas de leurs sentiers. On ne tend pas impunément des pièges à l'innocence ; car les complices du meurtre amassent sur leurs propres têtes un trésor de maux ;» c'est-à-dire, ceux qui aspirent à la débauche, qui convient le prochain aux mêmes infamies ; « toujours prêts à la guerre, et frappant avec leurs queues, selon le langage du prophète. » À qui la bouche inspirée fait-elle allusion dans ce passage ? aux hommes de luxure et d'intempérance, pareils aux animaux lascifs qui battent l'air de leurs queues, enfants de ténèbres et de colère, couverts de sang, meurtriers d'eux-mêmes et homicides de leurs proches. « Purifiez-vous donc du vieux levain, afin que vous soyez une pâte toute nouvelle, » nous crie l'apôtre. Ailleurs, s'élevant contre des pécheurs semblables, il nous prescrit « de n'avoir aucun commerce avec notre frère, s'il est ou impudique, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou adonné au vin, ou ravisseur du bien d'autrui, et de ne pas manger avec un pareil homme. Car, dit-il, je suis mort à la loi par la loi même, afin de ne vivre plus que pour Dieu. Je suis crucifié avec Jésus-Christ ; et je vis, ou plutôt, ce n'est plus moi qui vis, comme je vivais quand j'étais l'esclave des voluptés, c'est Jésus-Christ qui vit en moi, d'une vie chaste et bienheureuse, par l'obéissance aux commandements. Ainsi, je vivais alors charnellement dans la chair, et si je vis maintenant dans ce corps mortel, je vis en la foi du fils de Dieu. N'allez point dans la voie des Gentils, et n'entrez point dans les villes des Samaritains, » nous dit le Seigneur, pour nous détourner des errements qu'ils suivent, en contradiction avec les préceptes, « parce que la fin des méchants est mauvaise, et que telles sont « les voies de tous ceux qui font le mal. Malheur à cet homme ! s'écrie le Seigneur. Il vaudrait mieux pour lui n'être jamais né, que de scandaliser un seul de mes élus. Il vaudrait mieux qu'on attachât à son cou une meule de moulin, et qu'on le jetât dans la mer, que de pervertir un seul de mes élus ; car ils sont cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations.» C'est de là que l'illustre apôtre dit : « Je vous ai écrit dans une de mes épitres que vous n'eussiez point de commerce avec les impudiques, etc.,» jusqu'à ces mots : « mais le corps n'est point la fornication ; il est pour le Seigneur et le Seigneur pour le corps. » Puis, pour nous convaincre encore mieux qu'il n'appelle point le mariage une fornication, il ajoute : « Ne savez-vous point que celui qui se joint à une prostituée, devient un même corps avec elle ?» Je le demande, appelle-t-on prostituée une vierge avant qu'elle soit mariée ? « Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est du consentement mutuel de l'un et de l'autre pour un temps.» Par le mot refusez, l'apôtre montre que la dette du mariage est la procréation des enfants, et il l'exprime d'ailleurs textuellement dans un verset qui précède : « Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme ce qu'elle doit à son mari. » Une fois la dette conjugale acquittée, la femme est une aide pour surveiller l'intérieur de la famille et entretenir son mari dans la foi du Seigneur. Mais voilà qui est plus clair encore : « Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui leur a fait ce commandement : que la femme ne se sépare point de son mari ; si elle s'en sépare, qu'elle reste sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari ; que le mari de même ne quitte point sa femme ; quant aux autres, ce n'est pas le Seigneur, mais c'est moi qui leur dis : si quelqu'un de mes frères,...» jusqu'à ces mots : « au lieu que maintenant ils sont saints.»

Que répondent à ces paroles ceux qui décrient la loi et le mariage, comme si la loi seule eût autorisé l'union conjugale, et que l'alliance nouvelle se fût mise là-dessus en contradiction avec la loi ? Qu'ils réfutent donc de semblables autorités, les impies qui ont en horreur l'union de la chair et la génération ! L'évêque même qui a bien gouverné sa propre famille, l'apôtre ne l'établit-il pas chef de l'Église ; et la maison de celui qui ne s'est marié qu'une fois ne devient-elle pas, selon lui, la maison du Seigneur ? Aussi poursuit-il en ces termes : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ; et rien n'est pur pour ceux qui sont impurs et infidèles. Mais leur raison et leur conscience sont pleines de souillures. » Écoutez maintenant comme il condamne les voluptés déréglées : « Ne vous y trompez pas ! ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d'autrui, ne seront héritiers du royaume de Dieu. » Mais nous avons été purifiés, nous qui vivions autrefois dans les mêmes impuretés.

Quant à ceux qui croient se justifier par les désordres de la vie, ils détruisent la tempérance pour baptiser dans la fornication ; misérables ! dont la doctrine est de tout accorder aux désirs et aux voluptés, apprenant à l'homme à déserter la continence pour l'incontinence, concentrant leurs affections et leur espoir dans les parties honteuses d'eux-mêmes». Mais ils ne préparent à leurs disciples d'autre fin que d'être déshérités du royaume de Dieu, au lieu de voir leur nom inscrit dans le ciel. Vainement ils couvrent leur doctrine du titre usurpé de Connaissance ; ils marchent par les larges voies qui conduisent aux ténèbres extérieures. « Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnête, tout ce qui est saint, tout ce qui est aimable, tout ce qui a une bonne réputation, tout ce qui est vertueux, tout ce qui est louable dans les mœurs, que ce soit là ce qui occupe vos pensées. Mettez en pratique ce que je vous ai enseigné, ce que vous avez entendu dire de moi, et ce que vous avez vu en moi, et le Dieu de paix sera avec vous. » Pierre dit également dans sa première épitre : « Afin que votre foi et votre espérance reposent en Dieu, purifiez vos âmes par une sincère obéissance, évitant, comme des enfants dociles, de devenir semblables à ce que vous étiez autrefois, lorsque, dans votre ignorance, vous vous abandonniez à vos désirs. Mais soyez saints dans tout le cours de votre vie, comme celui qui vous a appelés est saint, selon qu'il est écrit : Soyez saints parce que je suis saint. »

Mais la réfutation par laquelle il fallait confondre les imposteurs qui usurpent sans titre le nom de la connaissance (gnose), en nous menant trop loin, a jeté notre discours au-delà de ses limites. Terminons donc ici notre troisième livre des Stromates, consacré aux recherches gnostiques d'après la véritable philosophie.



[1] Quelques écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, et plusieurs Églises du littoral africain, ou d'Alexandrie, condamnaient ou du moins improuvaient les secondes noces. Saint Clément, Tertullien et Origène, expriment plusieurs fois cette opinion. L'Église n'a pas sanctionné ce rigorisme, et bénit tous les mariages auxquels on apporte l'esprit de foi et de pureté qu'elle recommande.

 

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